Le Journal de Montreal

On va affamer cette survivante

Une femme agressée sexuelleme­nt va voir ses prestation­s de victime cesser, mais dit en avoir encore besoin

- JONATHAN TREMBLAY

Déjà ébranlée par la demande de semi-liberté demandée par deux hommes qui l’ont agressée à l’adolescenc­e, une survivante a appris la même semaine qu’elle n’aura bientôt plus de soutien financier à cause de la réforme du régime d’indemnisat­ion des victimes d’actes criminels (IVAC).

« APRÈS TROIS ANS, UNE VICTIME DEVRAIT ÊTRE CORRECTE ET REPRENDRE UNE VIE NORMALE ? CHACUNE A SES CAPACITÉS. » – Marie-Élyse Guertin

« Je dois digérer ça comment ? » peste Marie-Élyse Guertin, rencontrée au cégep où elle est aux études, en Montérégie.

Depuis novembre, la femme de 39 ans pouvait enfin souffler.

L’un de ses trois agresseurs, David Roussy, venait d’être débouté en appel. L’homme de 47 ans a finalement été incarcéré pour purger une peine de 30 mois.

Puis, celui qui a été son bourreau alors qu’elle était âgée de 13 à 15 ans, Clément Lamoureux, a écopé d’une sentence record de 15 ans et demi de prison, en 2020.

Le pédophile de 71 ans a été l’instigateu­r de crimes sexuels sur une douzaine d’adolescent­es pendant environ deux décennies, dans un centre équestre de Saint-Amable.

Il aura fallu à Mme Guertin cinq ans de procédures judiciaire­s pour tourner la page.

« Je ne pouvais pas m’en remettre. Je revisitais [sic] toujours des traumas », dit-elle.

Et voilà que récemment, en moins d’une semaine, on lui a annoncé que les deux détenus comptaient demander leur remise en semi-liberté, dans les prochains mois.

« C’est difficile, savoir que je ne vais pas mieux, et qu’eux veulent déjà sortir, confie celle qui les craint encore. Je me sens obligée de témoigner aux audiences. »

UNE AUTRE TUILE

Deux jours plus tard, l’IVAC l’a informée que ses prestation­s cesseraien­t le 13 octobre prochain, conforméme­nt à la réforme adoptée par la CAQ en 2021.

« Après trois ans, une victime devrait être correcte et reprendre une vie normale ? s’interroge-t-elle quant au délai prescrit. Chacune a ses capacités. »

Marie-Élyse Guertin appréhende des soucis financiers et craint de devoir vendre sa maison.

« Ce serait un gros recul. J’ai travaillé fort pour avoir tout ça », fait-elle valoir.

Même si les agressions datent, Mme Guertin a ressenti la majorité des contrecoup­s après avoir porté plainte.

« Ce que je cachais est ressorti : crises de panique, cauchemars, difficulté à être en public », explique-t-elle, reprochant au passage l’inaccessib­ilité des ressources dès la dénonciati­on.

« Ça aussi, ça retarde la guérison. » « J’ai besoin de temps. Ça prend tout mon petit change. Mais mon retour aux études, c’est la seule chose qui me donne espoir d’un jour être capable d’aller travailler », exprime avec émotion Marie-Élyse Guertin.

« Je ne fais pas ça pour étirer le temps », jure-t-elle.

Plutôt que de cesser les prestation­s au bout de trois ans, le gouverneme­nt devrait plutôt exiger davantage de bilans psychologi­ques et médicaux, suggère Mme Guertin.

« Les prestation­s sont supposées permettre aux victimes de reprendre une vie normale. Là, on nous y renvoie avec nos séquelles », conclut-elle.

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PHOTO JONATHAN TREMBLAY Marie-Élyse Guertin, rencontrée le 26 mars en Montérégie.
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DAVID ROUSSY Agresseur sexuel
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CLÉMENT LAMOUREUX Agresseur sexuel

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