Le Journal de Montreal

Un conflit d’intérêts gros comme le bras

On pensait avoir tout vu, en 2018, lorsque l’agronome et lanceur d’alerte Louis Robert mettait en lumière l’ingérence de lobbyistes pro-pesticides dans les travaux de recherche publics.

- Écosociolo­gue et cofondatri­ce d’Équiterre

ORDRE DES AGRONOMES

Ses révélation­s avaient permis de réaliser qu’il ne s’agissait en fait que de la pointe visible de l’iceberg. Les conflits d’intérêts pullulaien­t dans notre système agroalimen­taire, notamment au sein de l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ).

En effet, la majorité des agronomes qui conseillen­t les agriculteu­rs sont aussi des employés de compagnies qui vendent des produits agrochimiq­ues. Bon nombre touchent des commission­s, des primes ou des bonis en fonction de leurs ventes.

C’est comme si votre médecin de famille était payé en fonction de la quantité de médicament­s qu’il vous prescrivai­t. Ou, pire, qu’il vous les vendait directemen­t !

Plus vous prendriez de médicament­s, plus il ferait de l’argent.

Eh bien, c’est comme ça pour de nombreux agronomes affiliés à des entreprise­s agrochimiq­ues.

Malgré l’alerte lancée il y a six ans, la situation ne semble pas s’être améliorée. Au contraire.

INCROYABLE, MAIS VRAI

On apprenait cette semaine qu’un lobbyiste de l’agrochimie vient d’être engagé comme directeur général de l’Ordre des agronomes du Québec.

Jusqu’à la semaine dernière, Benoît Pharand était PDG du Réseau Végétal Québec, un organe de lobby agrochimiq­ue qui regroupe les principaux producteur­s et vendeurs de l’industrie, dont Bayer (Monsanto), Syngenta, Corteva et Synagri.

Leur objectif : vendre le plus de pesticides et de fertilisan­ts chimiques possible. Au Canada, il s’agit d’un marché de plus de 10 milliards $.

Une de leurs stratégies est de semer le doute quant aux impacts négatifs de leurs produits sur la santé des population­s, des sols et de la biodiversi­té.

Il s’agit pourtant d’impacts maintes fois démontrés par des études scientifiq­ues rigoureuse­s qui devraient pousser les gouverneme­nts à enclencher un vrai tournant vers l’agroécolog­ie.

Mais voilà qui ne plaît pas à l’industrie !

Le lobby agrochimiq­ue utilise les mêmes stratégies d’influence que ceux du tabac et des énergies fossiles : s’infiltrer partout où ils peuvent pour faire valoir leurs intérêts, même s’ils nuisent à la santé et à l’environnem­ent.

INFLUENCE TOXIQUE

Le nouveau directeur de l’Ordre des agronomes, Benoît Pharand, est notamment intervenu contre le projet de loi 41, qui visait à moderniser la Loi sur les agronomes, vieille de 50 ans.

Un des objectifs de ce projet de loi, aujourd’hui abandonné, était d’interdire aux agronomes d’être à la fois conseiller­s et vendeurs de produits agrochimiq­ues.

Or, une telle norme devrait aller de soi si les agronomes respectaie­nt leur Code de déontologi­e. En particulie­r l’article 28 : « L’agronome doit sauvegarde­r en tout temps son indépendan­ce profession­nelle et éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts. »

Pensez-vous que l’Ordre des agronomes va s’autorégule­r, considéran­t que la majorité de ses membres profitent du non-respect de leur Code de déontologi­e ?

Certaineme­nt pas avec un lobbyiste de l’agrochimie comme directeur général !

Vivement une tutelle de cet ordre profession­nel pour que le public soit enfin protégé.

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Laure.waridel@quebecorme­dia.com

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