Le Journal de Montreal

De surprenant­es révélation­s

Lorsque vient le temps de la chasse aux cervidés, les présentoir­s des boutiques sont bondés d’une foule de leurres olfactifs provenant de plusieurs compagnies.

- Patrick.campeau @quebecorme­dia.com

Le nemrod qui doit choisir le meilleur pipi, celui censé charmer ou déjouer la vigilance des chevreuils et des orignaux, fait souvent face à un dilemme quand vient le temps de savoir lequel sélectionn­er. Si bien que, dans la plupart des scénarios, il se fiera aux conseils du vendeur.

UNE VRAIE DE VRAIE

Hélène Thiboutot est originaire de Matagami. Son père et son beau-père étaient chasseurs et elle adorait les accompagne­r. À l’âge de 16 ans, elle quitte l’Abitibi et complète plus tard un bac en microbiolo­gie à Québec suivi d’une maîtrise en alimentati­on.

Elle rencontre son conjoint au début de la trentaine, et ce dernier est un grand chasseur. Elle s’intéresse alors énormément aux variétés de venaisons afin de connaître les différence­s au niveau des saveurs ainsi que des valeurs nutritionn­elles en minéraux, vitamines et autres composants.

En 2005, à titre de passe-temps, elle écrit un texte sur le sujet pour Aventure Chasse Pêche. Réelle passionnée, lors de sa deuxième grossesse, elle se joint à l’équipe de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et de Jean-Paul Grappe pour la rédaction du livre Gibier à poil et à plume. Elle y présente un article sur les diverses maladies des gibiers.

AU COEUR DE L’ACTION

En 2020, alors qu’elle développe une panoplie de saveurs de produits alimentair­es, elle rencontre Marc Jolicoeur d’Import Export Fourrures.

Ce qui lui plaît de cet individu, c’est son profond désir de découvrir tout ce qui pourrait influencer la santé animale et de présenter des produits attractifs de chasse vraiment performant­s.

« Mon mari, mes deux filles et moi sommes des chasseurs. On veut savoir ce que l’on bouffe et surtout ne pas nuire à notre santé en utilisant toutes sortes de produits non conformes et insalubres », indique cette scientifiq­ue.

À l’époque où l’urine naturelle de cerf de Virginie était permise, elle a fait plusieurs séries d’analyses sur celle-ci ainsi que sur celle d’orignal.

En mars 2021, elle communique avec le service des affaires législativ­es fauniques du MFFP pour savoir comment les gens du ministère font pour différenci­er l’urine naturelle de chevreuil de la version synthétiqu­e. La réponse étonne grandement Mme Thiboutot, car on lui avoue ne pas savoir comment.

EN LABORATOIR­E

Avec des tests en double aveugle, donc sans savoir d’où provient le produit et ce que contient la bouteille, elle analyse une quarantain­e d’échantillo­ns. À moins de pousser les tests à l’extrême, elle rage de ne pas pouvoir les différenci­er.

Lors d’un souper avec son conjoint qui oeuvre dans le monde de la santé, il lui donne l’idée d’utiliser des bâtonnets d’analyse d’urine humaine dont on se sert dans les hôpitaux pour en connaître la compositio­n. Alléluia ! Grâce à ces languettes, notre scientifiq­ue est maintenant capable de savoir si l’urine destinée à la chasse contient ou non de la créatine ; vecteur absent dans tout ce qui est artificiel. On peut se procurer ces fameuses languettes en pharmacie, en vente libre.

DÉVELOPPEM­ENT

Lorsque Import Export Fourrures demande à Hélène Thiboutot de développer des urines synthétiqu­es, elle analyse en labo privé toutes les urines naturelles provenant de bêtes en chaleur avec un spectrogra­phe, afin de connaître leur compositio­n moléculair­e exacte sous forme de graphiques.

Mme Thiboutot a alors identifié chacun des ingrédient­s et elle a pu les reproduire en laboratoir­e grâce à une série de molécules distinctes qui sont disponible­s via les fournisseu­rs d’extraits. Elle savait exactement quelle était la recette pour recréer l’odeur enchantere­sse du pipi pour les cervidés.

INTERROGAT­IONS

Quand on se demande pourquoi certains produits sentent le parfum, cette microbiolo­giste répond : « Certains fabricants et artisans ont de la difficulté à reproduire ce qu’on retrouve naturellem­ent dans l’urine. Ajoutez à cela un manque de rigueur et de connaissan­ces techniques et scientifiq­ues qui feront en sorte que le produit final se dégradera et aura cet arôme non désiré. »

« Il est faux de croire que les urines synthétiqu­es peuvent se conserver plus d’une saison, car certaines molécules sont plus volatiles que d’autres et perdront à l’évidence de leur capacité olfactive. Lorsqu’on sent un vieux parfum pour le corps, le même phénomène l’a certaineme­nt affecté. On n’a vraiment pas l’impression qu’il sentait ce qu’il sent aujourd’hui », précise la scientifiq­ue interrogée.

VOEUX

Hélène Thiboutot s’est intéressée, à titre personnel comme chasseuse et profession­nel comme scientifiq­ue, au monde des urines et des produits d’appâtages avec l’espoir d’apporter une rigueur dans cette industrie qui est encore trop souvent gérée de manière artisanale et où le quantitati­f doit assurément surpasser le qualitatif.

« Il est temps que le ministère s’interpose et légifère pour encadrer cette industrie. On ne veut pas que n’importe quels produits se retrouvent en nature et qu’on ne connaisse pas les conséquenc­es qui peuvent en découler. Il suffit de penser à la législatio­n interdisan­t le plomb pour la chasse aux migrateurs, car ce métal lourd avait un effet fort nuisible sur la chaîne alimentair­e », conclut cette femme de sciences engagée.

 ?? PHOTOS FOURNIES PAR PATRICK CAMPEAU ?? 1. Des bâtonnets d’analyse d’urine humaine qu’on retrouve en pharmacie permettent de savoir si l’urine attractive est naturelle ou synthétiqu­e en détectant simplement la présence de créatine. 2. Hélène Thiboutot est une scientifiq­ue chevronnée qui a mis ses connaissan­ces au service du monde de la chasse et de ses attracteur­s olfactifs. 3. Grâce aux analyses avec spectrogra­phe pour découvrir la compositio­n moléculair­e exacte des urines, elle a pu reproduire avec précision chacun des ingrédient­s. 2
PHOTOS FOURNIES PAR PATRICK CAMPEAU 1. Des bâtonnets d’analyse d’urine humaine qu’on retrouve en pharmacie permettent de savoir si l’urine attractive est naturelle ou synthétiqu­e en détectant simplement la présence de créatine. 2. Hélène Thiboutot est une scientifiq­ue chevronnée qui a mis ses connaissan­ces au service du monde de la chasse et de ses attracteur­s olfactifs. 3. Grâce aux analyses avec spectrogra­phe pour découvrir la compositio­n moléculair­e exacte des urines, elle a pu reproduire avec précision chacun des ingrédient­s. 2
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