De surprenantes révélations
Lorsque vient le temps de la chasse aux cervidés, les présentoirs des boutiques sont bondés d’une foule de leurres olfactifs provenant de plusieurs compagnies.
Le nemrod qui doit choisir le meilleur pipi, celui censé charmer ou déjouer la vigilance des chevreuils et des orignaux, fait souvent face à un dilemme quand vient le temps de savoir lequel sélectionner. Si bien que, dans la plupart des scénarios, il se fiera aux conseils du vendeur.
UNE VRAIE DE VRAIE
Hélène Thiboutot est originaire de Matagami. Son père et son beau-père étaient chasseurs et elle adorait les accompagner. À l’âge de 16 ans, elle quitte l’Abitibi et complète plus tard un bac en microbiologie à Québec suivi d’une maîtrise en alimentation.
Elle rencontre son conjoint au début de la trentaine, et ce dernier est un grand chasseur. Elle s’intéresse alors énormément aux variétés de venaisons afin de connaître les différences au niveau des saveurs ainsi que des valeurs nutritionnelles en minéraux, vitamines et autres composants.
En 2005, à titre de passe-temps, elle écrit un texte sur le sujet pour Aventure Chasse Pêche. Réelle passionnée, lors de sa deuxième grossesse, elle se joint à l’équipe de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) et de Jean-Paul Grappe pour la rédaction du livre Gibier à poil et à plume. Elle y présente un article sur les diverses maladies des gibiers.
AU COEUR DE L’ACTION
En 2020, alors qu’elle développe une panoplie de saveurs de produits alimentaires, elle rencontre Marc Jolicoeur d’Import Export Fourrures.
Ce qui lui plaît de cet individu, c’est son profond désir de découvrir tout ce qui pourrait influencer la santé animale et de présenter des produits attractifs de chasse vraiment performants.
« Mon mari, mes deux filles et moi sommes des chasseurs. On veut savoir ce que l’on bouffe et surtout ne pas nuire à notre santé en utilisant toutes sortes de produits non conformes et insalubres », indique cette scientifique.
À l’époque où l’urine naturelle de cerf de Virginie était permise, elle a fait plusieurs séries d’analyses sur celle-ci ainsi que sur celle d’orignal.
En mars 2021, elle communique avec le service des affaires législatives fauniques du MFFP pour savoir comment les gens du ministère font pour différencier l’urine naturelle de chevreuil de la version synthétique. La réponse étonne grandement Mme Thiboutot, car on lui avoue ne pas savoir comment.
EN LABORATOIRE
Avec des tests en double aveugle, donc sans savoir d’où provient le produit et ce que contient la bouteille, elle analyse une quarantaine d’échantillons. À moins de pousser les tests à l’extrême, elle rage de ne pas pouvoir les différencier.
Lors d’un souper avec son conjoint qui oeuvre dans le monde de la santé, il lui donne l’idée d’utiliser des bâtonnets d’analyse d’urine humaine dont on se sert dans les hôpitaux pour en connaître la composition. Alléluia ! Grâce à ces languettes, notre scientifique est maintenant capable de savoir si l’urine destinée à la chasse contient ou non de la créatine ; vecteur absent dans tout ce qui est artificiel. On peut se procurer ces fameuses languettes en pharmacie, en vente libre.
DÉVELOPPEMENT
Lorsque Import Export Fourrures demande à Hélène Thiboutot de développer des urines synthétiques, elle analyse en labo privé toutes les urines naturelles provenant de bêtes en chaleur avec un spectrographe, afin de connaître leur composition moléculaire exacte sous forme de graphiques.
Mme Thiboutot a alors identifié chacun des ingrédients et elle a pu les reproduire en laboratoire grâce à une série de molécules distinctes qui sont disponibles via les fournisseurs d’extraits. Elle savait exactement quelle était la recette pour recréer l’odeur enchanteresse du pipi pour les cervidés.
INTERROGATIONS
Quand on se demande pourquoi certains produits sentent le parfum, cette microbiologiste répond : « Certains fabricants et artisans ont de la difficulté à reproduire ce qu’on retrouve naturellement dans l’urine. Ajoutez à cela un manque de rigueur et de connaissances techniques et scientifiques qui feront en sorte que le produit final se dégradera et aura cet arôme non désiré. »
« Il est faux de croire que les urines synthétiques peuvent se conserver plus d’une saison, car certaines molécules sont plus volatiles que d’autres et perdront à l’évidence de leur capacité olfactive. Lorsqu’on sent un vieux parfum pour le corps, le même phénomène l’a certainement affecté. On n’a vraiment pas l’impression qu’il sentait ce qu’il sent aujourd’hui », précise la scientifique interrogée.
VOEUX
Hélène Thiboutot s’est intéressée, à titre personnel comme chasseuse et professionnel comme scientifique, au monde des urines et des produits d’appâtages avec l’espoir d’apporter une rigueur dans cette industrie qui est encore trop souvent gérée de manière artisanale et où le quantitatif doit assurément surpasser le qualitatif.
« Il est temps que le ministère s’interpose et légifère pour encadrer cette industrie. On ne veut pas que n’importe quels produits se retrouvent en nature et qu’on ne connaisse pas les conséquences qui peuvent en découler. Il suffit de penser à la législation interdisant le plomb pour la chasse aux migrateurs, car ce métal lourd avait un effet fort nuisible sur la chaîne alimentaire », conclut cette femme de sciences engagée.