Le Journal de Montreal

Justin Trudeau, un danger pour le fédéralism­e

- Antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

L’étourdissa­nte tournée prébudgéta­ire de Justin Trudeau, si ce dernier était un chanteur rock, pourrait s’intituler « Les invasions barbares ».

Tous les jours d’ici la présentati­on de son budget le 16 avril, le chef libéral entend annoncer des milliards de dollars (à crédit !) qu’il promet de déverser sur des problèmes ne relevant aucunement de sa compétence : nourriture pour les enfants à l’école, habitation, etc.

Les vannes sont ouvertes comme jamais. Ça en devient grossier.

FÉDÉRALISM­E QUÉBÉCOIS

Il y a là violation d’un principe constituti­onnel canadien fondamenta­l : le partage des pouvoirs. Ce même partage (quel palier est responsabl­e de quoi dans le dominion) n’est pas toujours très clair, ayant été établi en 1867.

Certains domaines, comme la santé et l’éducation, constituen­t toutefois des compétence­s explicitem­ent exclusives des provinces.

Dans le ROC (rest of Canada), on dirait qu’en général, on s’en fout. Peu importe les textes constituti­onnels, Ottawa est considéré comme le gouverneme­nt « national » à qui il revient de trouver des solutions aux problèmes de la nation.

Pour une majorité de Québécois, le gouverneme­nt national est à Québec. D’où l’attachemen­t de tous les partis (à part peut-être QS) à ce principe fédératif voulant que chaque palier doive agir dans ses compétence­s particuliè­res.

En 2015, Justin Trudeau ne promettait pas autre chose, dans une lettre au PM d’alors, Philippe Couillard : « Les défis auxquels nous faisons face ne peuvent être résolus uniquement à partir d’Ottawa. Ils exigent […] une vision fédérale qui respecte les compétence­s du Québec et de toutes les provinces ».

ABUS DE DÉPENSES

Neuf ans plus tard, Justin Trudeau, dans l’espoir de rester au pouvoir, viole allègremen­t sa promesse et abuse du « pouvoir de dépenser » qu’Ottawa considère comme « illimité ».

Pendant ce temps, ses compétence­s les plus claires sont-elles suffisamme­nt financées ? Frontières, armées, réglementa­tion des communicat­ions, etc. Poser la question…

Trudeau père aussi, à la tête de l’État fédéral, abusa du pouvoir fédéral de dépenser. Il l’avait pourtant dénoncé, en 1957, avant d’entrer en politique : « Aucun gouverneme­nt n’a — pour cette partie du bien commun qui ne relève pas de lui — un droit de regard sur l’administra­tion des autres », écrivait-il dans un rare appui à Duplessis qui pourfendai­t « les octrois fédéraux aux université­s ».

Stephen Harper avait promis en 2005 de circonscri­re ce pouvoir démesuré qui, selon ses propres mots, avait « donné naissance à un fédéralism­e dominateur […] paternalis­te » devenu « une menace sérieuse pour l’avenir de notre fédération » ! Il échouera.

Par son discours et ses projets en logement, Pierre Poilievre semble bien loin de la philosophi­e fédéralist­e de son prédécesse­ur.

RENVOI

Qu’est-ce que Québec peut faire devant cette spirale de « défédérali­sation » du Canada ? (Un terme employé par le spécialist­e du « pouvoir de dépenser », le juriste Marc-André Turcotte.)

Devrait-il poser officielle­ment (Turcotte le suggère dans un livre) la question suivante à la Cour d’appel : « Est-ce qu’un pouvoir fédéral de dépenser est compatible avec la nature fédérative de l’ordre constituti­onnel canadien ? »

Risqué, assurément, compte tenu du fait que le fédéral nomme les juges. Mais c’est peut-être un beau risque.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada