Des toilettes coûteuses pour rien
Les installations autonettoyantes érigées à grands frais sont brisées quasiment tout le temps
À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Il ne faut pas se surprendre de trouver parfois des excréments humains sur la voie publique dans l’arrondissement de Ville-Marie à Montréal puisque les coûteuses toilettes autonettoyantes qui devaient accommoder la population itinérante sont brisées quasiment tout le temps ou ferment à 19 h.
À l’instar des « croque-glaces » qui ne sortent jamais et des poubelles « compacteuses » intelligentes qui ne font pas gagner de temps ni d’argent, cette technologie coûteuse n’a pas tenu ses promesses.
Mercredi, j’ai visité cinq toilettes autonettoyantes. Ces gadgets ont chacun coûté entre un quart et un demi-million $ et exigent chacune 25 000 $ d’entretien annuellement, m’a écrit la Ville par courriel.
Quatre étaient hors service et semblaient dans le coma depuis longtemps.
« Il y a deux semaines, la cabine était déjà hors service. J’ai dû faire mes besoins dehors à côté de la petite cabane là-bas. Heureusement, j’avais du papier toilette avec moi », raconte Samuel Beauchesne, que je rencontre dans le parc Walter-Stewart, où la cabine autonettoyante inutilisable est intégrée au chalet.
DANS LE BUISSON
« C’est terrible ! Là, je vais essayer de trouver une toilette chimique pas trop loin. Mais si je n’en trouve pas, ben... »
Il ne termine pas sa pensée, mais on la devine. M. Beauchesne devra alors recourir encore à l’option buisson.
À mon passage lundi, la toilette de la station Papineau était brisée, sa porte ouverte, la cuvette débordante, ses murs barbouillés. Mercredi, elle était fermée, l’écran éteint.
INFORMATIONS EN... ITALIEN
Quant à la toilette du parc Charles-S. Campbell... Miracle ! Elle fonctionne. Deux hommes attendent leur tour.
« Les trois quarts du temps, elle ne fonctionne pas. Ça aurait coûté moins cher de mettre dix toilettes chimiques chauffées qu’une seule toilette de riches comme ça qui ne marche jamais », déplore un homme qui me demande de l’appeler Le Dénénageur.
La toilette à Émilie-Gamelin ? Inerte, écran éteint. Les déjections humaines sur le bord de l’édicule de métro que j’avais remarquées en reportage le 4 mars dernier n’ont jamais été nettoyées par la main de l’homme, mais la pluie les a partiellement dissoutes.
La toilette du Vieux-Port à l’angle des rues Saint-Gabriel et de la Commune me dit en italien (!) qu’elle est en entretien : manutenzione. Mais rien ne se passe.
« Les pièces viennent d’Italie et sont trop coûteuses pour le budget », m’explique une source bien informée.
« Ces cabines fonctionneraient bien si elles ne se faisaient pas régulièrement saccager. Des gens y font du feu, s’y piquent et laissent traîner leurs seringues. »
« Certains forcent la porte la nuit et ils passent un bâton par la poubelle pour détruire le compresseur qui fait du bruit pour pouvoir dormir tranquille. »
PLUS DE TOILETTES CHIMIQUES
Aucune des cinq toilettes autonettoyantes n’a de siège. La Ville semble avoir renoncé à les remplacer.
C’est certainement déplorable que des gens défèquent sur la voie publique, mais s’ils n’ont nulle part où aller...
La solution ? « Plus de toilettes chimiques », m’ont dit les usagers à qui j’ai parlé. Quelqu’un les écoutera-t-il ? Malgré les critiques des principaux concernés, la Ville semble garder le cap : « L’installation d’une toilette autonettoyante est prévue dans le cadre du projet de la place des Montréalaises en cours de réalisation », confirme une relationniste.