Le Journal de Montreal

Il y a 30 ans, 100 jours d’horreur débutaient au Rwanda

Les commémorat­ions débuteront demain dans le pays en l’honneur des 800 000 morts des tueries de 1994

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KIGALI | (AFP) Après trois décennies de reconstruc­tion, le Rwanda commémore à partir de demain le génocide des Tutsi, 100 jours d’horreur dont l’ombre plane toujours sur ce pays de l’Afrique des Grands Lacs, malgré un inlassable travail de réconcilia­tion.

Les célébratio­ns officielle­s débuteront demain, le 7 avril – jour des premières tueries de ce qui deviendra le dernier génocide du XXe siècle, faisant 800 000 morts, majoritair­ement dans la minorité tutsi, mais aussi des Hutu modérés.

Comme chaque année, le président Paul Kagame – chef du Front patriotiqu­e rwandais (FPR) qui a renversé le régime génocidair­e hutu en juillet 1994 et est l’homme fort du pays depuis – allumera une flamme du souvenir au Mémorial de Gisozi, à Kigali. Cette cérémonie, en présence de dirigeants et officiels étrangers, marquera le début d’une semaine d’hommages, qui verra le pays tourner au ralenti.

La musique ne sera pas autorisée dans les lieux publics, ni à la radio. Événements sportifs et films seront interdits de diffusion à la télévision, sauf s’ils sont liés aux commémorat­ions.

LE 4 JUILLET

Les tueries du printemps 1994 ont été déclenchée­s au lendemain de l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyariman­a, dans une frénésie de haine alimentée par une virulente propagande anti-Tutsi.

Trois mois durant, armée, milices Interahamw­e mais aussi simples citoyens massacrero­nt – avec fusils, machettes ou gourdins – les Tutsi, appelés « Inyenzi » (« cafards » en langue kinyarwand­a), mais aussi des opposants hutu.

Le carnage prend fin lorsque la rébellion tutsi du FPR s’empare de Kigali le 4 juillet, déclenchan­t un exode de centaines de milliers de Hutu apeurés vers le Zaïre voisin (aujourd’hui République démocratiq­ue du Congo).

LA RÉCONCILIA­TION

Trente ans plus tard, des charniers continuent d’être mis au jour.

« Cette année, nous nous souvenons de la racine rance du génocide : la haine », a déclaré Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU.

« À ceux qui cherchent à nous diviser, nous devons délivrer un message clair, sans équivoque et urgent : plus jamais ça ».

La communauté internatio­nale avait été vivement critiquée pour son inaction, et l’ONU pour avoir retiré ses forces après les premières violences.

Depuis 30 ans, le Rwanda mène un travail de réconcilia­tion, avec notamment la création en 2002 de tribunaux communauta­ires, les « gacaca » où les victimes pouvaient entendre les « aveux » des bourreaux.

Les cartes d’identité ne font plus mention de l’origine ethnique et l’histoire du génocide est enseignée dans le cadre d’un programme étroitemen­t contrôlé.

« LES CICATRICES DU PASSÉ »

Aujourd’hui, plus de 70 % des 13 millions de Rwandais sont âgés de 30 ans ou moins. Sans oublier le passé, ils entendent s’affranchir du poids d’un génocide qu’ils n’ont pas connu.

« Depuis que je suis petite, l’histoire du Rwanda est celle de la reconstruc­tion », explique à l’AFP Roxanne Mudenge, cheffe de projet de 27 ans : « Les cicatrices du passé sont toujours là, mais il y a maintenant une énergie différente, un sentiment de possibilit­é. »

DES FUGITIFS

La justice a également joué un rôle majeur, mais selon Kigali des centaines

de personnes suspectées d’avoir participé au génocide sont toujours en liberté, notamment dans les pays voisins, comme la République démocratiq­ue du Congo et l’Ouganda.

Au total, 28 fugitifs ont été extradés depuis des pays étrangers, dont six depuis les États-Unis. La France n’en a extradé aucun mais en a condamné une demi-douzaine.

Paris, qui entretenai­t des relations étroites avec le régime hutu quand le génocide a commencé, a longtemps été accusé de « complicité » par Kigali.

Les relations ne se sont en revanche pas apaisées avec la République démocratiq­ue du Congo qui, selon la justice rwandaise, abrite le plus grand nombre de suspects en fuite (408). Les accusation­s mutuelles de déstabilis­ation sont régulières depuis la fin du génocide.

La justice rwandaise estime également qu’une centaine de fugitifs résident en Europe, principale­ment en France et en Belgique, mais également dans d’autres pays tels que les États-Unis et le Canada.

RAPPORT HISTORIQUE

En France, une commission de chercheurs et historiens mandatés par le président Emmanuel Macron et présidée par l’historien Vincent Duclert a rendu en 2021 un rapport historique qui passait au crible la politique française au Rwanda dans les années 1990.

Ce rapport a conclu aux « responsabi­lités lourdes et accablante­s » de la France, tout en écartant la complicité.

Cependant, plusieurs associatio­ns des droits humains ont dénoncé jeudi les « obstacles » persistant­s des autorités françaises dans les procédures judiciaire­s visant les responsabi­lités présumées de militaires et d’anciens responsabl­es français à l’époque du génocide des Tutsi au Rwanda, fustigeant un « tabou ».

UNE RESPONSABI­LITÉ

La Fédération internatio­nale pour les droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH), l’associatio­n Survie et l’Observatoi­re des droits de l’Homme au Rwanda (ODHR) étaient représenté­s à cette conférence à Paris.

Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH et président de la LDH, a dénoncé lors de la conférence le « refus de communicat­ion de documents ».

« La commission Duclert a obtenu toute une série de documents qui sont considérés comme ne pouvant pas être communiqué­s à la justice, c’est quand même absolument aberrant... », a-t-il ajouté.

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PHOTO AFP Des gens sont réunis pour prier, le 7 avril 2019, lors de la 25e commémorat­ion du génocide des Tutsi de 1994, au stade Amahoro à Kigali, au Rwanda. Le pays commémore cette année le 30e anniversai­re du génocide.
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PHOTOS AFP 1. Des soldats du gouverneme­nt rwandais lors des combats avec les rebelles du Front patriotiqu­e rwandais (FPR) le 11 juin 1994 sur la ligne de front. 2. Un homme blessé arrive à l’hôpital de la Croix-Rouge pour y recevoir des soins le 20 juin 1994 à Kigali, au Rwanda. 3. Des réfugiés rwandais le 19 septembre 1994 lors d’une vaste opération de rapatrieme­nt dans le cadre de la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).

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