Le Journal de Montreal

Et le Soleil disparaît

Partout au Québec, les gens se sont rassemblés dehors pour admirer cette manifestat­ion cosmique rarissime

- OLIVIER FAUCHER – Avec Clara Loiseau, Jean-Philippe Guilbault, Daphnée Dion-Viens et Francis Pilon

« Wow », « malade », « fascinant » : les centaines de milliers de personnes qui se sont ruées hier vers le sud du Québec ont été époustoufl­ées quand le ciel bleu sans nuages est devenu noir pendant les quelques instants qu’a duré l’éclipse solaire totale rarissime.

« J’étais jeté à terre, je pleurais. D’avoir vu la boule noire, c’est gravé à jamais », a raconté Frédéric Morel, croisé dans un rassemblem­ent à Saint-Georges, en Beauce.

Le spectacle céleste a commencé peu après 14 h, lorsque la Lune a graduellem­ent commencé à se placer devant le Soleil. Les regards protégés par des lunettes spéciales se sont alors tournés vers le ciel.

Puis, l’excitation a culminé peu avant 15 h 30. Lors de brèves secondes surréalist­es, la Lune a alors obstrué complèteme­nt le Soleil, nous plongeant dans l’obscurité en plein jour et faisant perdre environ deux degrés Celsius à la températur­e ambiante.

« C’EST MALADE »

Les cris et les applaudiss­ements ont alors retenti dans de nombreux rassemblem­ents.

« Ça valait plus que la peine de faire 7 heures de route pour voir ça », a lancé Ryan Rose, une New-Yorkaise, croisée au parc Jean-Drapeau.

« Wow, c’est malade ! », « Je n’en reviens pas », « C’est ben beau ! » se sont écriés des élèves d’une école primaire de Saint-Apollinair­e lors d’une activité organisée par l’école.

D’autres enfants n’auront pas été aussi privilégié­s parce que les services de garde ont préféré organiser une activité intérieure, les rideaux tirés pour protéger les petits, comme à la Garderie Les Petits Poussins Bleus, à Montréal.

« On a fermé les rideaux de nos locaux et tout le monde est resté à l’intérieur. Même si on voulait leur donner des lunettes pour regarder le Soleil, ils ne comprennen­t pas vraiment à deux ans », a expliqué l’éducatrice Silvia Romero.

UNE MÉTÉO PARFAITE

L’expérience de millions de Québécois n’aurait pas été la même sans la météo exceptionn­elle d’hier, qui a été louangée par les experts en astronomie.

« On a été très chanceux. C’était un ciel dégagé ou un ciel [partiellem­ent] voilé » dans toutes les régions pour observer l’éclipse, a expliqué Michèle Fleury, météorolog­ue pour Environnem­ent Canada.

La dernière éclipse totale à toucher le Québec remontait à 1972, et il faudra attendre plus de 80 ans, soit en 2106, avant d’en revoir une dans la province.

EMBOUTEILL­AGES

La journée historique s’était amorcée par des déplacemen­ts massifs de curieux vers la bande de totalité, qui couvrait notamment le sud de Montréal, l’Estrie et la Beauce, où de nombreux événements étaient organisés pour l’occasion.

Dans le grand Montréal, des bouchons de circulatio­n ont paralysé dès l’avant-midi l’autoroute 10 et le pont Samuel-De Champlain, en plus de forcer la fermeture de bretelles menant à l’île Sainte-Hélène à partir du pont Jacques-Cartier.

De nombreux usagers se sont aussi entassés comme des sardines pour emprunter la ligne jaune du métro de Montréal afin de se rendre à l’événement animé du parc Jean-Drapeau. Ce dernier organisait le plus important événement de la province pour observer le phénomène astronomiq­ue et estimait, hier en fin de journée, avoir accueilli près de 100 000 personnes.

Tant qu’à vivre « le plus surnaturel des phénomènes naturels », comme on décrit l’éclipse totale de Soleil, autant opter pour le site de prédilecti­on des astronomes, l’Astrolab du parc national du Mont-Mégantic, situé en plein coeur de la zone de totalité.

Comme moi, 2700 crinqués s’étaient réunis hier pour assister au « plus rare et plus grandiose des spectacles naturels », dans ces lieux désignés comme la réserve internatio­nale de ciel étoilé.

Comble de chance, pendant que sur des sites parmi les mieux situés comme Niagara et le Texas le ciel était couvert, au-dessus de Mégantic, il était d’un bleu parfait.

Dans une ambiance de fête, scientifiq­ues et astronomes amateurs en ont eu plein la vue, c’est le cas de le dire.

EN MÉMOIRE D’HUBERT REEVES

Benoit Reeves, fils du grand astrophysi­cien Hubert Reeves décédé l’automne dernier, tenait à être au mont Mégantic pour cette observatio­n, la cinquième à son actif.

Il avait fait le voyage depuis Paris expresséme­nt pour vivre l’expérience. Son père avait parrainé la constructi­on du parc, et son premier télescope est exposé à l’Astrolab.

« Je pense que si on a du beau temps, c’est que mon père est làhaut en train de dire : “c’est bon, tu m’as demandé deux semaines à l’avance, j’ai eu le temps de travailler.” C’est rarissime qu’il fasse aussi beau. »

M. Reeves souhaite aussi profiter de son passage au Québec pour proposer que l’Astrolab porte le nom de son père à l’avenir.

L’Observatoi­re du Mont-Mégantic, construit en 1978, ne pouvait être mieux situé, pile-poil au centre de la zone où les astres étaient parfaiteme­nt alignés.

Venu avec son épouse, leurs deux fils, dont un qui vit au Japon, et ses deux petites-filles, Ghislain Pinard, du Club d’astronomie de Rimouski, a partagé volontiers ses télescopes avec les visiteurs.

Astronome amateur, il avait organisé l’activité depuis deux ans. Il avait eu la chance de vivre une première éclipse totale en 1972, à Amqui, un moment qui a changé sa vie.

« On comprend à le vivre, c’est tellement particulie­r de voir ça, et de penser que ça prend un alignement des astres aussi parfait. Et la bague de diamant, qu’on peut voir dans les secondes avant l’éclipse, c’est incroyable comme c’est impression­nant. »

MOMENTS MAGIQUES

Durant les quatre minutes de noirceur, les cris de joie fusaient de partout, les gens applaudiss­aient. Près du Soleil, on pouvait alors apercevoir Vénus et Jupiter.

À mes côtés étaient réunis des étudiants du départemen­t de physique du Cégep de Chicoutimi, partis à 6 h du matin pour être aux premières loges du phénomène.

« C’est très spécial comme moment, on dirait que tous les humains se connectent pour vivre ça », s’est exclamé Pierre-Luc Larouche, l’un de leurs professeur­s.

PENSÉE POUR LES ENFANTS

La Société des établissem­ents de plein air du Québec (SÉPAQ) travaillai­t à l’organisati­on de l’événement au parc du Mont-Mégantic depuis 2017. Le ministère de l’Éducation, dont les directives ont été tout sauf claires, aurait eu avantage à être aussi prévoyant…

En décembre, les places disponible­s à Mégantic se sont envolées en quelques jours. Des gens sont venus d’aussi loin que la France, de l’Allemagne, d’un peu partout au Canada et des États-Unis, m’a expliqué Marie-George Bélanger, responsabl­e du parc.

Impossible de ne pas avoir une pensée, après avoir vécu ces instants mémorables, pour tous les enfants fréquentan­t des écoles québécoise­s qui ont fermé leurs portes. Quelle occasion manquée de faire vivre aux enfants un événement si marquant !

 ?? PHOTOS MARTIN CHEVALIER ?? Voici l’évolution, observée hier, du passage de la Lune entre la Terre et le Soleil. Ici, le blanc représente le Soleil.
PHOTOS MARTIN CHEVALIER Voici l’évolution, observée hier, du passage de la Lune entre la Terre et le Soleil. Ici, le blanc représente le Soleil.
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