Le Journal de Montreal

Quand nos urgences tuent au lieu de soigner

C’est une autre histoire d’horreur dans les urgences du Québec. La centième ? La millième ? Qui sait ? Cette fois-ci, c’est l’histoire révoltante de Normand Meunier.

- Josee.legault @quebecorme­dia.com

Lourdement handicapé physiqueme­nt, à l’urgence de l’hôpital de Saint-Jérôme, on l’aurait laissé plusieurs jours dans le couloir sur une vulgaire civière. Sa conjointe avait pourtant bien informé l’urgence qu’il avait absolument besoin d’un matelas à « pression alternativ­e ».

Résultat : selon le reportage de Radio-Canada, M. Meunier « aurait développé une plaie de pression majeure au fessier ». Chaque année, dans nos hôpitaux et CHSLD, 3700 Québécois « se retrouvent avec une plaie de pression ». C’est injustifia­ble.

Celle de Normand Meunier l’a tellement fait souffrir qu’il a préféré demander l’aide médicale à mourir (AMM). Il n’avait que 66 ans. Il est mort chez lui le 29 mars dernier.

Si le Québec est devenu l’épicentre de l’AMM au pays, il faudrait bien se demander si l’état lamentable du réseau de santé n’y est pas aussi pour quelque chose.

Bref, une autre histoire digne du tiers-monde. Les médias en regorgent depuis longtemps. Tellement qu’on s’y habitue sans le réaliser. Sauf, bien sûr, quand ça arrive à un proche ou à soi-même...

Évidemment, comme dirait François Legault, personne ne se bat dans les autobus pour ça. Fort heureuseme­nt, on sauve aussi des vies à l’urgence.

N’empêche que des morts évitables et des humains parqués comme du bétail pendant des jours dans un corridor passant, c’est devenu presque banal.

PEUR DE L’URGENCE

Il n’y a pourtant rien de normal à ce que les Québécois aient carrément peur d’aller à l’urgence. Combien de gens se réveillent avec des cancers non détectés ou des conditions devenues chroniques par manque de médecins de famille, mais aussi par crainte d’être oubliés dans un corridor d’urgence ?

C’est encore pire quand on y atterrit avec un handicap physique, intellectu­el ou cognitif. Sans parler de tous ceux et celles qui y arrivent seuls, sans personne pour les accompagne­r et défendre leurs droits.

Normand Meunier avait sa conjointe pour l’appuyer, mais on ne l’aurait pas écoutée. Imaginez d’arriver à l’urgence handicapé ET seul.

EXIGER MIEUX

Depuis des décennies, de points de presse en cellules de crise, la situation dans nos urgences continue néanmoins de péricliter.

Il existe des pays avancés qui, peut-être plus brillants qu’ici, mais non pas plus riches, ont des urgences fonctionne­lles, accessible­s et humaines. Pourquoi cela serait-il inconcevab­le au

Québec ?

Quel que soit le gouverneme­nt, nos décideurs et nos gestionnai­res seraient-ils perdus à ce point ? Le Québec est pourtant capable de mieux. Et nous ?

Pourquoi acceptons-nous qu’il soit aussi difficile, à moins d’être en arrêt cardiaque, de se faire soigner rapidement et bien dans une urgence payée à grands frais par les deniers publics ? Serions-nous encore un peuple docile ?

Comment ne pas penser aux mots mythiques du grand poète, feu Claude

De points de presse en cellules de crise, la situation dans nos urgences continue néanmoins de péricliter.

Péloquin ? Gravés sur les murs du Grand Théâtre de Québec, ils sont plus pertinents que jamais : « Vous êtes pas écoeurés de mourir, bande de caves ! C’est assez ! »

Pour citer la présentati­on du théâtre, ces mots sont en effet « un appel à la vie, un cri contre l’injustice et une dénonciati­on de la mort sous toutes ses formes ». Il serait temps de les redécouvri­r, si j’ose dire, urgemment.

Non pas pour s’indigner pour s’indigner, mais pour exiger que ça change enfin... pour le mieux.

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