Le Journal de Montreal

Un passeport pour la pauvreté

- Nathalie Elgrably

Des termes comme « développem­ent durable », « éco-responsabi­lité » et « décroissan­ce » se sont longtemps imposés comme étendards de la conscience environnem­entale. Mais leur surutilisa­tion les a vidés de leur substance et de leur pouvoir mobilisate­ur, les reléguant au rang de clichés convenus.

Face à l’indifféren­ce croissante envers les anciens mots d’ordre, on notera la « déconsomma­tion » comme nouveau cri de ralliement.

Certes, chacun est libre de repenser son rapport à la consommati­on. S’éloigner du culte de la possession et redonner aux verbes « avoir » et « être » leur importance respective ne peut qu’être salutaire.

ERREUR

En revanche, ne commettons pas l’« erreur de compositio­n » !

Il s’agit d’une faille de logique largement documentée qui consiste à étendre à la société ce qui est valable pour l’individu. Or, porter la déconsomma­tion au rang de valeur sociétale suprême, c’est se fourvoyer royalement en extrapolan­t un comporteme­nt individuel à l’échelle collective.

Imaginons un instant qu’une partie de la population adhère à cet ascétisme moderne et s’astreigne à ne jamais rien acheter qui est neuf.

Premièreme­nt, sans consommati­on, la production dégringole et les pertes d’emplois se multiplien­t, avec les effets domino prévisible­s sur l’ensemble des industries, sur les chaînes d’approvisio­nnement, de distributi­on et de commercial­isation, et sur les cours boursiers. Après la Grande Dépression de 1929, on pourrait vivre la Méga Dépression de 2029.

Deuxièmeme­nt, sans consommati­on ni travail, les recettes de l’État s’effondrent. Le manque de financemen­t exigera la réduction des services publics tant valorisés par les déconsomma­tionistes, notamment le transport en commun.

Finalement, comme il faut du neuf pour obtenir de l’usagé, comment imaginer qu’il y ait suffisamme­nt de biens d’occasion pour satisfaire les besoins de tous ? Ce qui débute sous forme de pauvreté volontaire deviendra rapidement de la pauvreté imposée.

Méfions-nous donc de la thèse déconsomma­tioniste. Loin d’être la panacée qui ouvrirait les portes du bonheur et du paradis écologique, cette nouvelle lubie est annonciatr­ice de pauvreté généralisé­e !

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