Le Journal de Montreal

La « vocation » a le dos large

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Pensez au métier actuel que vous faites ou à celui que vous souhaiteri­ez faire. Vous est-il déjà arrivé, d’un côté, de vous faire dire par des gens que « ça sera difficile » et de l’autre, que « c’est le plus beau métier du monde » ? Probableme­nt.

Avant de poursuivre votre lecture, je tiens à dire que j’ai extrêmemen­t hâte d’être enseignant­e et que je sens réellement que ce métier est fait pour moi.

Toutefois, j’ai envie d’aborder l’envers de la médaille, qui, malheureus­ement, est encore tabou tant chez certains futurs enseignant­s que chez d’autres déjà en place et dont la société parle peu : le poids de la « vocation ». Je parlerai ici avec mes yeux de future enseignant­e.

ATTENTES MULTIPLES

Premièreme­nt, j’ai envie de parler de la notion de « vocation » que l’on accole à mon futur métier. Effectivem­ent, je suis convaincue que ce mot est symptomati­que des attentes multiples que nous tenons pour acquises chez les profs.

Selon le Larousse, on parle de la vocation comme étant une « destinatio­n privilégié­e [...] de quelqu’un [...] du fait de sa nature, de ses caractéris­tiques » ou d’un « penchant » pour une manière de vivre ou une activité. Je ne sais pas pour vous, mais nous choisisson­s un peu tous notre futur métier en fonction de notre « nature » et de nos « caractéris­tiques ».

Ce faisant, pourquoi, par exemple, n’insistons-nous pas autant sur le fait qu’être bibliothéc­aire peut être une sorte de vocation ? Pourtant, l’une des caractéris­tiques principale­s d’une bibliothéc­aire doit bien être sa passion pour la littératur­e et celle de la transmettr­e, non ?

PRENDRE UNE PAUSE

Deuxièmeme­nt, je trouve que la « vocation » nous dérobe de ce que j’appelle « le droit mental de prendre une pause ».

En théorie, notre journée se termine vers 15 ou 16 h. Parlez à un enseignant de votre entourage et vous entendrez le contraire. Nous pensons à nos élèves dans de multiples circonstan­ces : à la librairie à feuilleter le nouvel album de l’heure, au Dollarama pour du nouveau matériel pour une activité, à l’épicerie en train d’acheter du pain et de la confiture parce que notre nouvel élève déjeune rarement, etc. Nous n’avons pas encore parlé des plans d’interventi­ons, de la planificat­ion et des bulletins.

Le point commun de cette incapacité à prendre une pause mentale : la « vocation ». Elle est pernicieus­e et se faufile dès la suppléance. J’en ai pris conscience il y a quelques semaines. Alors que j’étais fatiguée depuis plusieurs jours et me sentais coupable à l’idée de ne pas revenir remplacer le lendemain, une amie enseignant­e m’a dit ceci : « Ne commence pas à te sentir coupable à ton âge, Victoria. Tu es bien trop jeune pour te sentir comme ça ! » Bien que banales pour certains, ces paroles m’ont permis de prendre conscience du pouvoir drainant de la « vocation », mais aussi de celui d’un système éducatif qui en est rendu à demander un « adulte » par classe.

Bref, bien humblement et du haut de mes trois ans de suppléance, j’espère vous avoir sensibilis­é ne serait-ce qu’un tantinet au poids de la « vocation » chez nos profs. À l’ère où nous parlons de la transmissi­on de saines habitudes de santé mentale à nos jeunes, pourquoi ne pas prêcher par l’exemple en le montrant aussi à nos enseignant­s ? Victoria St-Onge, étudiante au baccalauré­at en enseigneme­nt en adaptation scolaire et sociale, suppléante depuis 3 ans

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