Le Journal de Montreal

Le premier ministre qui n’aime pas lire

L’aveu se voulait une revendicat­ion, une preuve de son pouvoir et de ses exigences.

- Emmanuelle Latraverse Analyste politique emmanuelle.latraverse@tva.ca

Justin Trudeau ne lit pas les notes de breffage sur la sécurité nationale a-t-il expliqué à la Commission d’enquête sur l’ingérence étrangère.

Si c’est important, qu’on lui organise une rencontre.

Utile comme logique quand on doit plaider l’ignorance face aux mises en garde répétées du SCRS au sujet des manoeuvres de la Chine lors des élections de 2019 et 2021. C’est peut-être écrit, mais on ne lui a pas dit.

On passera sur la contradict­ion avec le témoignage de sa cheffe de cabinet qui affirmait il y a un an que « le premier ministre lit tout ce qui atterrit sur son bureau ».

Lire ou ne pas lire, là est la question, aurait dit Hamlet.

Au-delà des demi-vérités, l’aveu de Justin Trudeau nous offre une rare fenêtre sur sa façon de gouverner... Et les problèmes que ça engendre.

Les détails ne semblent pas l’intéresser.

DISSONANCE

Sécurité nationale, logement, immigratio­n, croissance économique, peu importe le dossier, le gouverneme­nt Trudeau est convaincu d’être à la hauteur.

Il est progressis­te, il veut le bien collectif, il croit au pouvoir interventi­onniste du gouverneme­nt.

Va pour l’idéal, mais qu’en est-il de la mise en oeuvre ?

L’ingérence étrangère ? Il a mis sur pied un panel de hauts fonctionna­ires pour surveiller le tout.

Le logement ? Son gouverneme­nt a déboursé des milliards depuis 2017.

L’immigratio­n ? C’est une source de croissance économique. Voilà. Or, comme le veut l’adage, « le diable est dans les détails ».

Mais ces détails, ils sont dans la nuance des notes de breffage que le premier ministre ne lit pas de son propre aveu.

Si Justin Trudeau avait lu les notes de breffage du SCRS, il aurait compris que l’ingérence étrangère est une vaste zone grise qui résiste aux verdicts simplistes sur l’intégrité des élections.

S’il s’était préoccupé des détails, il aurait compris que ses milliards ne livraient pas les 250 000 logements promis.

AU-DELÀ DE L’IMAGE

Car gouverner, c’est justement se préoccuper des détails ennuyeux.

Parlez-en à quiconque a travaillé auprès d’un autre premier ministre : oui, le boss lisait les notes de breffage.

Stephen Harper était d’une minutie terrifiant­e, Jean Chrétien les préférait courtes.

Mais ils les lisaient. Car ils avaient compris leur valeur, consigner les faits, articuler les nuances, éviter les malentendu­s.

Tous avaient surtout compris que lorsqu’il en va de la sécurité nationale, c’est la priorité numéro un. Pas Justin Trudeau, il nous explique qu’il préfère le dialogue.

Mais s’il faut réserver une plage horaire, déplacer le directeur du SCRS chaque fois qu’il faut informer le premier ministre, le message à la machine est clair. Pensez-y par deux fois avant de déranger le patron. Si les preuves ne sont pas béton, laissez faire, a-t-il luimême reconnu lors de son témoignage.

C’est mal comprendre le monde du renseignem­ent.

On l’a vu dans son effeuillag­e prébudgéta­ire, Justin Trudeau aime rêver à la promesse du Canada, il aime projeter qu’il agit pour le bien de tous.

Il adore faire des annonces. On se demande de plus en plus si la minutie de gouverner l’intéresse autant.

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Faire des annonces et gouverner n’est pas la même chose. Justin Trudeau l’a-t-il compris ?

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