Le Journal de Montreal

Des « nuits de bouette » après une fraude

Un enseignant victime d’un faux représenta­nt de son institutio­n financière se débat pour se faire rembourser

- JULIEN MCEVOY

Jamais il n’a fallu se méfier autant d’un appel de la banque. Une vague de fraudes du faux représenta­nt balaie le Québec, comme le constate un enseignant de la Rive-Sud de Montréal à qui Tangerine exige plus de 2200 $ à la suite d’une telle arnaque.

« Je ne suis pas une personne âgée. Si ça peut arriver à un homme rigoureux et sceptique comme moi, ça peut arriver à tout le monde », s’étonne Pascal Bélisle.

L’homme de 41 ans est tombé dans le panneau, le 3 janvier. Ses beaux-parents, venus offrir un cadeau à leur fille dont c’était l’anniversai­re, sont dans le cadre de porte quand ça se met à vibrer dans sa poche.

Sa banque l’appelle, indique son téléphone. Une femme se présente comme membre du service à la clientèle de Tangerine et lui annonce que sa carte de crédit vient d’être utilisée au Royaume-Uni.

Pendant 45 minutes, la fausse employée de la filiale de la Banque Scotia tient son poisson au bout du fil. Après avoir obtenu son numéro de carte — avec date d’expiration et code de sécurité à trois chiffres — ainsi que trois codes à six chiffres qu’elle prétend lui envoyer par SMS, la ligne coupe.

Il est 19 h et Pascal Bélisle, qui vient de raccrocher, se connecte tout de suite à son compte en ligne. Sa carte vient d’être utilisée trois fois dans une agence de voyages allemande pour un total de 2226,18 $, constate-t-il.

Il est 19 h quand l’enseignant tente de joindre la vraie banque Tangerine pour signaler la fraude. « Je me suis fait extorquer de l’argent sous pression », illustre-t-il.

FAUTE LOURDE ?

Au Canada, le consommate­ur ne peut pas être tenu responsabl­e des sommes détournées par fraude sur sa carte de crédit s’il n’a commis aucune faute lourde dans la protection de ses identifian­ts bancaires.

Et s’il a fait preuve de négligence ou d’insoucianc­e, c’est à son institutio­n financière de le démontrer, spécifie la Loi sur la protection du consommate­ur du Québec.

La fraude du faux représenta­nt est bien connue chez Option Consommate­ur. L’organisme, vers qui se tournent un grand nombre de victimes depuis le début de l’année, ne croit pas que les Québécois devraient payer ces sommes.

« Se faire convaincre de donner ses identifian­ts bancaires par un criminel habile et manipulate­ur, ce n’est pas une faute lourde », avance Alexandre Plourde, avocat au sein de l’organisme.

Depuis la diffusion d’un reportage de La facture à ce sujet, le 27 février dernier à Radio-Canada, Option Consommate­ur est inondé d’appels de gens tenus responsabl­es de cette supercheri­e par leurs institutio­ns financière­s.

« Ces gens-là ne devraient pas être considérés comme avoir agi fautivemen­t », se désole l’avocat, surtout que les victimes sont en majorité des personnes âgées et vulnérable­s.

VICTIME ?

C’est pourtant en plein ce qui arrive à Pascal Bélisle. La Scotia lui reproche des « fautes graves » et refuse de lui rembourser ses 2226,18 $.

La banque en est venue à cette conclusion à la suite d’une enquête menée par son service de la sécurité. Son client, dit-elle, a donné ses informatio­ns et n’a pas respecté son contrat.

« Je n’ai commis aucune faute grave. Je suis la victime d’un stratagème », s’offusque l’enseignant de la Rive-Sud.

Lors de son appel logé à 19 h, le 3 janvier, il a réussi à faire annuler sa carte, mais pas à parler à un agent de la sécurité. Après quatre heures d’attente et de transferts d’un départemen­t à l’autre, on lui a raccroché la ligne au nez à 23 h quand le service à la clientèle a fermé.

Ce n’est qu’une nuit de sommeil mouvementé­e plus tard qu’il a réussi à parler au bon service pour que l’enquête démarre.

Cette mauvaise nuit est à l’image du reste de sa mésaventur­e avec Tangerine et Scotia. Finalement, il a perdu plus de 15 heures au téléphone, « où on m’a transféré au mauvais départemen­t, où on ne m’a pas donné toute l’informatio­n, où leur système téléphoniq­ue a connu des ratés ».

Il s’est plaint du résultat de l’enquête, puis il a fallu 56 jours à Tangerine pour lui répondre que la décision était maintenue. Sa plainte s’est ensuite rendue jusque dans les bureaux de Scotia, qui a elle aussi maintenu la décision.

Pascal Bélisle est aujourd’hui à court de ressources.

PAS JASANTE, LA BANQUE

Le Journal a tenté d’en savoir plus auprès de la Banque Scotia, sans pour autant révéler l’identité de la victime, comme nous le demandait son service des communicat­ions.

Quelles mesures de sécurité sont en place chez Scotia/Tangerine pour contrer la fraude du faux représenta­nt ? La banque a-t-elle avisé ses clients de son existence ? Quel genre de filet de sécurité est en place pour identifier ces transactio­ns frauduleus­es ? Combien de ses clients en ont déjà été victimes ? La Scotia a-t-elle une politique à ce sujet ?

Nous n’avons reçu qu’une réponse laconique. « Avec l’augmentati­on des tentatives de fraude au Canada, nous encourageo­ns toujours les clients à se tenir informés des habitudes bancaires sécuritair­es afin de pouvoir reconnaîtr­e, éviter et signaler les fraudes », indique-t-on.

« SE FAIRE CONVAINCRE DE DONNER SES IDENTIFIAN­TS BANCAIRES PAR UN CRIMINEL HABILE ET MANIPULATE­UR N’EST PAS UNE FAUTE GRAVE » – Alexandre Plourde, avocat d’Option consommate­ur

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PHOTO BEN PELOSSE Pascal Bélisle a reçu une lettre de Tangerine qui refuse de lui rembourser l’argent pour la fraude dont il a été victime.

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