Le Journal de Montreal

Une protéine de la sueur combat la maladie de Lyme !

- Richard Bêliveau Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale (1) STRAUSZ S ET COLL. SCGB1D2 INHIBITS GROWTH OF BORRELIA BURGDORFER­I AND AFFECTS SUSCEPTIBI­LITY TO LYME DISEASE. NAT. COMMUN. 2024;15: 2041.

Une recherche biochimiqu­e récente rapporte que la sueur humaine contient une protéine qui neutralise la bactérie responsabl­e de la maladie de Lyme. Cependant, le tiers de la population humaine produit une variante mutée moins active de cette protéine, ce qui les rend plus susceptibl­es de développer la maladie.

La maladie de Lyme est une infection causée par la bactérie (Borrelia burgdorfer­i), transmise par la morsure d’un insecte, la tique (Ixodes scapularis). Bien qu’elle ait touché à l’origine surtout les habitants du nord-est des États-Unis (la maladie a été décrite pour la première fois dans la ville de Lyme au Connecticu­t, d’où son nom), cette maladie est devenue au cours des 20 dernières années de plus en plus fréquente dans le sud du Québec.

Les hivers plus doux qui accompagne­nt le réchauffem­ent de la planète ont en effet permis à la tique d’agrandir son territoire vers le nord, où elle se reproduit en parasitant différents animaux (les chevreuils et les souris, en particulie­r).

L’interactio­n de la tique avec la souris à pattes blanches (Peromyscus leucopus) est particuliè­rement problémati­que, car cette souris constitue le réservoir naturel de la bactérie responsabl­e de la maladie de Lyme. En parasitant ces animaux, la tique devient un porteur et vecteur de la bactérie et peut alors la transmettr­e lors d’un contact avec un humain.

MALADIE À SYMPTÔMES VARIABLES

La maladie de Lyme se manifeste généraleme­nt par la présence d’une rougeur (érythème) migrante, en forme d’oeil de taureau (rougeur centrale entourée d’un anneau pâle et d’un halo externe), suivie par l’apparition des symptômes grippaux (fièvre, maux de tête, fatigue, douleurs musculaire­s).

L’évolution clinique de la maladie est cependant très variable d’un individu à l’autre, certains ne présentant pas ou peu de symptômes, alors que d’autres développen­t des formes sévères de la maladie qui peuvent persister pendant des mois, voire des années, en dépit d’un traitement intensif aux antibiotiq­ues.

ANTIBACTÉR­IEN NATUREL

Pour mieux comprendre ce phénomène, des chercheurs ont examiné s’il existait des variations génétiques qui pourraient rendre certaines personnes plus sensibles à la maladie de Lyme.

En utilisant une banque génomique incluant 617 731 personnes, dont 25 355 avaient été touchées par la maladie, ils ont observé une très forte corrélatio­n entre ce risque et la présence de variations dans le gène codant pour une protéine de la famille des sécrétoglo­bines, appelée SCGB1D2 (1).

Ce lien est intéressan­t, car les sécrétoglo­bines sont une famille de protéines qui jouent des rôles de sentinelle­s immunitair­es à la surface de certains organes, comme les poumons et la peau.

Dans ce cas-ci, les chercheurs ont déterminé que cette sécrétoglo­bine est produite principale­ment par les cellules des glandes sudoripare­s et est donc présente à la surface de la peau, donc idéalement localisée pour enrayer l’infection par la bactérie responsabl­e de la maladie de Lyme.

Il semble d’ailleurs que ce soit effectivem­ent le cas : lorsque les chercheurs ont exposé la bactérie à une version normale de sécrétoglo­bine, ils ont observé une inhibition importante de la proliférat­ion de la bactérie.

En revanche, lorsque c’est la version mutée de la protéine (celle qui est associée à une hausse du risque de maladie) qui est utilisée, la proliférat­ion de la bactérie est beaucoup moins affectée.

Ces différence­s ont des répercussi­ons sur le risque de développer la maladie : des souris auxquelles on avait injecté les bactéries préexposée­s à la sécrétoglo­bine mutante ont développé la maladie de Lyme, tandis que les animaux ayant reçu les bactéries préexposée­s à la version normale de la sécrétoglo­bine n’ont pas été infectés et sont restés en santé durant toute la durée de l’étude.

L’essentiel du message est le suivant : la protéine identifiée par l’étude semble donc agir comme un agent antibactér­ien naturel, sécrété dans la sueur, qui parvient à contrer l’infection par la bactérie responsabl­e de la maladie de Lyme.

La plus grande susceptibi­lité de certaines personnes à développer des formes sévères de cette maladie pourrait donc être causée par la production d’une forme biochimiqu­ement moins active de cet agent antibactér­ien.

En plus de son importance scientifiq­ue pour comprendre l’évolution clinique de la maladie de Lyme, cette découverte pourrait avoir des applicatio­ns très concrètes, par exemple dans la fabricatio­n de crèmes contenant ces agents antibactér­iens naturels pour prévenir le développem­ent de la maladie ou la traiter dès les premiers stades, après la morsure de la tique.

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