Des collèges de seconde zone
EDMONTON | Fin février, McGill et Concordia traînaient Québec devant les tribunaux pour faire déclarer illégales les hausses de frais de scolarité des étudiants étrangers (et ceux issus des autres provinces), imposées par le gouvernement Legault.
Ces universités anglophones clament qu’une telle mesure représente « une attaque frontale contre une minorité ».
Quand ce tollé a éclaté, en octobre 2023, je me trouvais en Alberta, au Campus Saint-Jean (CSJ), petit esquif, fonctionnant en français, de la University of Alberta (UoA). Le CSJ ne l’a pas eu facile ces dernières années. Des « attaques frontales » (des vraies !) contre lui ont été si nombreuses qu’en 2020, un mouvement « Sauvons Saint-Jean » fut créé.
HÉRITAGE RADIOACTIF
En septembre 2023, un geste raviva l’inquiétude. La direction de l’Université fit placer un panneau unilingue « University of Alberta » en lieu et place de l’ancienne affiche, qui était bilingue et indiquait « University of/Université de l’/Alberta/Campus Saint-Jean ». Non seulement on effaçait le français, mais le nom du campus disparaissait.
Pourtant, on est là au coeur des institutions de la communauté francophone de la capitale albertaine.
Les bureaux de l’Association canadienne française de l’Alberta ont pignon sur rue juste en face, dans le même édifice que le sympathique Café Bicyclette et les édifices renfermant plusieurs établissements francophones, dont l’unique clinique médicale fonctionnant vraiment en français.
Devant le tollé, l’administration de l’UoA fit marche arrière, présenta ses excuses, et réinstalla l’ancien panneau bilingue. Mais cette affaire d’affiche unilingue donnait l’impression que dans la direction, on remettait l’existence du CSJ en question.
Une institution au surplus fondée par les pères Oblats, communauté religieuse considérée comme honteuse aux yeux de certains, car pointée du doigt dans le fonctionnement des pensionnats autochtones.
Et vu que les oblats sont à l’origine de bien des choses en Alberta francophone, c’est l’ensemble du « patrimoine francophone dans l’Ouest » qui semble devenu « radioactif », déplore Deni Loriaux, militant pour le français ayant travaillé 30 ans au Commissariat aux langues officielles du Canada.
L’affaire de l’affiche survenait après les années difficiles du gouvernement conservateur de Jason Kenney, marquées par des coupes budgétaires radicales dans les universités en général et au Campus Saint-Jean en particulier.
« J’étais tellement triste quand j’ai vu ça », me confie Valérie Lapointe-Gagnon.
Originaire de Québec, elle enseigne l’histoire au CSJ depuis 2015.
« Quand la francophonie perd quelque chose dans le peu qu’elle a, c’est un coup de poignard en plein coeur du fait français. »
CONTRE VENTS ET MARÉES
En francophonie canadienne, les rares établissements universitaires sont souvent très récents, car créés de haute lutte malgré les gouvernements des provinces. Un des seuls qui semblent actuellement fonctionner est la petite Université de Saint-Boniface. Ailleurs, c’est, la plupart du temps, la crise.
En Ontario, comme le montrent les reportages de Raphaël Pirro (voir textes ci-contre), rien ne va plus dans le postsecondaire francophone.
Un autre universitaire – qui tient à rester anonyme – résume les choses ainsi : « Les institutions postsecondaires francophones hors Québec sont, de manière générale : 1. pauvres ; 2. peu dotées en ressources ; 3. peu autonomes, comme le Campus Saint-Jean, ou existent dans un cadre bilingue asymétrique, comme l’Université d’Ottawa ; 4. peu développées quant à l’offre des programmes. » Et pour les institutions anglophones au Québec ? « C’est exactement l’inverse ! », répond-il.
Ce sont pourtant ces dernières qui se plaignent de faire l’objet d’« attaques frontales ». Qui culpabilisent le gouvernement du Québec ainsi que ceux qui appuient ses efforts visant à rééquilibrer le poids des réseaux universitaires francophone et anglophone au Québec.
Un exemple parmi tant d’autres : y a-t-il l’équivalent, au Canada anglais, du don, à une minorité francophone, de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill, avec 475 millions $ à la clé ?
Poser la question…