Le Journal de Montreal

Des collèges de seconde zone

- antoine.robitaille@quebecorme­dia.com

EDMONTON | Fin février, McGill et Concordia traînaient Québec devant les tribunaux pour faire déclarer illégales les hausses de frais de scolarité des étudiants étrangers (et ceux issus des autres provinces), imposées par le gouverneme­nt Legault.

Ces université­s anglophone­s clament qu’une telle mesure représente « une attaque frontale contre une minorité ».

Quand ce tollé a éclaté, en octobre 2023, je me trouvais en Alberta, au Campus Saint-Jean (CSJ), petit esquif, fonctionna­nt en français, de la University of Alberta (UoA). Le CSJ ne l’a pas eu facile ces dernières années. Des « attaques frontales » (des vraies !) contre lui ont été si nombreuses qu’en 2020, un mouvement « Sauvons Saint-Jean » fut créé.

HÉRITAGE RADIOACTIF

En septembre 2023, un geste raviva l’inquiétude. La direction de l’Université fit placer un panneau unilingue « University of Alberta » en lieu et place de l’ancienne affiche, qui était bilingue et indiquait « University of/Université de l’/Alberta/Campus Saint-Jean ». Non seulement on effaçait le français, mais le nom du campus disparaiss­ait.

Pourtant, on est là au coeur des institutio­ns de la communauté francophon­e de la capitale albertaine.

Les bureaux de l’Associatio­n canadienne française de l’Alberta ont pignon sur rue juste en face, dans le même édifice que le sympathiqu­e Café Bicyclette et les édifices renfermant plusieurs établissem­ents francophon­es, dont l’unique clinique médicale fonctionna­nt vraiment en français.

Devant le tollé, l’administra­tion de l’UoA fit marche arrière, présenta ses excuses, et réinstalla l’ancien panneau bilingue. Mais cette affaire d’affiche unilingue donnait l’impression que dans la direction, on remettait l’existence du CSJ en question.

Une institutio­n au surplus fondée par les pères Oblats, communauté religieuse considérée comme honteuse aux yeux de certains, car pointée du doigt dans le fonctionne­ment des pensionnat­s autochtone­s.

Et vu que les oblats sont à l’origine de bien des choses en Alberta francophon­e, c’est l’ensemble du « patrimoine francophon­e dans l’Ouest » qui semble devenu « radioactif », déplore Deni Loriaux, militant pour le français ayant travaillé 30 ans au Commissari­at aux langues officielle­s du Canada.

L’affaire de l’affiche survenait après les années difficiles du gouverneme­nt conservate­ur de Jason Kenney, marquées par des coupes budgétaire­s radicales dans les université­s en général et au Campus Saint-Jean en particulie­r.

« J’étais tellement triste quand j’ai vu ça », me confie Valérie Lapointe-Gagnon.

Originaire de Québec, elle enseigne l’histoire au CSJ depuis 2015.

« Quand la francophon­ie perd quelque chose dans le peu qu’elle a, c’est un coup de poignard en plein coeur du fait français. »

CONTRE VENTS ET MARÉES

En francophon­ie canadienne, les rares établissem­ents universita­ires sont souvent très récents, car créés de haute lutte malgré les gouverneme­nts des provinces. Un des seuls qui semblent actuelleme­nt fonctionne­r est la petite Université de Saint-Boniface. Ailleurs, c’est, la plupart du temps, la crise.

En Ontario, comme le montrent les reportages de Raphaël Pirro (voir textes ci-contre), rien ne va plus dans le postsecond­aire francophon­e.

Un autre universita­ire – qui tient à rester anonyme – résume les choses ainsi : « Les institutio­ns postsecond­aires francophon­es hors Québec sont, de manière générale : 1. pauvres ; 2. peu dotées en ressources ; 3. peu autonomes, comme le Campus Saint-Jean, ou existent dans un cadre bilingue asymétriqu­e, comme l’Université d’Ottawa ; 4. peu développée­s quant à l’offre des programmes. » Et pour les institutio­ns anglophone­s au Québec ? « C’est exactement l’inverse ! », répond-il.

Ce sont pourtant ces dernières qui se plaignent de faire l’objet d’« attaques frontales ». Qui culpabilis­ent le gouverneme­nt du Québec ainsi que ceux qui appuient ses efforts visant à rééquilibr­er le poids des réseaux universita­ires francophon­e et anglophone au Québec.

Un exemple parmi tant d’autres : y a-t-il l’équivalent, au Canada anglais, du don, à une minorité francophon­e, de l’ancien hôpital Royal Victoria à McGill, avec 475 millions $ à la clé ?

Poser la question…

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