Dans l’Ouest, les restes pour les francos
« C’est une des premières écoles qu’on a pu ouvrir », me dit Deni Loriaux, en passant devant l’École Maurice-Lavallée, à Edmonton.
Ce retraité du Commissariat aux langues officielles était mon guide des lieux de la francophonie de la capitale albertaine.
Féru d’histoire, il raconte avec passion les intenses batailles judiciaires et politiques ayant conduit à l’inauguration de ce modeste établissement scolaire, en novembre 1984. (Il écrit son prénom « Deni », sans S, pour éviter d’être appelé « Denisss », à l’anglaise !)
UN SYSTÈME RÉCENT
Au Québec, on ignore souvent que les systèmes scolaires francophones publics dans le reste du pays sont si récents. Quatre décennies d’existence. Et encore.
Dans l’Ouest, pour qu’il puisse seulement exister, il fallut d’abord, dans les années 1970, abroger les dernières lois interdisant formellement l’enseignement du français au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta.
Oui, il y a moins d’un demi-siècle, l’enseignement formel du français était illégal dans ces provinces ! Auparavant, tout se faisait dans la clandestinité.
« Lorsqu’un inspecteur visitait une école, l’enseignante choisissait un élève qui parlait bien anglais pour donner le change », rappelle Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire au Campus Saint-Jean.
L’adoption de la Charte des droits en 1982 a constitué un tournant. Et un point d’appui : les tribunaux s’en sont servis pour reconnaître des droits linguistiques aux francophones hors Québec.
HAINE DES FRANCOS
Pour autant, dans l’Ouest, rien ne fut facile.
Au Manitoba, les gains judiciaires des francophones et leurs projets scolaires suscitent l’intolérance. En 1983, le siège social de la Société franco-manitobaine est ravagé par un incendie criminel.
En plus, « au départ, les nouvelles écoles francophones que les provinces financent à contrecoeur ne sont pas vraiment autonomes », dit le politologue Raymond Hébert.
En Alberta par exemple, une école comme Maurice-Lavallée releva pendant 10 ans d’une commission scolaire anglophone.
Dans les années 1990, les tribunaux forcent les provinces de l’Ouest à créer des commissions scolaires contrôlées « par et pour » les francophones.
Et à ce moment, les conseils scolaires offriront aux francophones les locaux moins intéressants : « On nous a souvent laissé les restes », déplore Nathalie Lachance, de l’Association canadienne-française de l’Alberta.
«ONPARTDELOIN»
Peu profondes, les racines de ce système scolaire sont fragiles, malgré des milieux dynamiques. Sans compter qu’il se trouve d’une certaine manière « concurrencé par les écoles d’immersion ».
Par conséquent, seule une portion des enfants qui ont droit à l’école française la fréquentent. En Alberta, il y aurait 67 000 « ayants droit » de
0 à 17 ans. Or, un peu moins de 10 000 sont inscrits actuellement dans ces écoles.
Cela conduit nombre de familles à abandonner le français.
Non seulement est-il difficile de convaincre Edmonton de construire des écoles francophones, mais quand un projet démarre, le résultat final n’est souvent pas « équivalent à ce qu’ont les élèves anglophones dans les mêmes communautés ».
Lachance cite un cas récent, celui d’Airdrie, en banlieue de Calgary. Sur ce territoire, on compte 1800 ayants droit. Or, l’école finalement construite par l’État albertain n’a que 300 places.
Dès l’ouverture, l’école déborde et les classes portatives (de type roulotte) se multiplient. Lachance estime qu’au départ, trois écoles auraient dû être construites.
Avec autant de classes portatives, « les infrastructures à l’intérieur de l’école ne suivent pas » : le gymnase n’est souvent pas convenable, les toilettes, en nombre insuffisant.
Et la bibliothèque ? Convertie en classe.
« Après ça, on se demande pourquoi les enfants qui en ont le droit, dans l’Ouest, ne vont pas à l’école francophone. On part de loin. »
Il y a moins d’un demisiècle, l’enseignement formel du français était illégal dans ces provinces !