Le Journal de Montreal

Dans l’Ouest, sur les traces de mon grand-père

- Antoine.robitaille@ quebecorme­dia.com

Aller dans l’Ouest, à la rencontre des francophon­es, comme je l’ai fait récemment pour Le Journal, était pour moi un projet assez ancien comportant une dimension personnell­e.

Il s’agissait, en partie, de repasser sur les traces de mon grand-père maternel Émilien Rochette, que je n’ai à peu près pas connu puisqu’il a quitté ce monde lorsque j’avais trois ans. C’est un vieux disque vinyle, trouvé dans les affaires de mes parents, qui m’avait fait comprendre, il y a une dizaine d’années, toute la passion d’Émilien pour les « Canadiens français » de l’Ouest.

Des membres de la famille m’avaient vaguement évoqué cette passion, mais ce vieux 33 tours (très rigide) m’a permis de comprendre de manière plus précise ce qui l’animait.

Car il y était gravé un grand discours qu’il avait prononcé à Edmonton en avril 1952 devant le congrès annuel de l’Associatio­n d’éducation française de l’Alberta.

AVANT LA CASSURE

À l’écoute, j’ai donc appris que mon grand-père, voyageur de commerce de métier, était aussi président du Comité de la survivance française en Amérique.

À ce titre, il était le principal organisate­ur du troisième Congrès de la langue française devant avoir lieu quelques mois plus tard, à l’été 1952, à Québec. Dans son discours, il raconte avoir réussi à soutirer à Maurice Duplessis un 25 000 $ pour financer l’événement !

Émilien s’était donc rendu en train, accompagné par sa Thérèse, jusque dans la « lointaine Alberta », afin d’inviter les francos à ce grand événement : « Mes chers amis, j’espère, et je sais que vous tiendrez à venir nombreux, parce qu’il est important plus que jamais que nous fassions là une démonstrat­ion de force. »

C’était l’époque où la nation canadienne-française allait de soi, reposant sur des fondements surtout (mais pas essentiell­ement) ethniques. Avant la grande cassure opérée…

■ a) par la loi fédérale sur les langues officielle­s (1969) qui fit des francophon­es du Québec une inquiétant­e « majorité », et des autres, des « francophon­es en situations minoritair­es » ;

■ b) par les États généraux du Canada français (1966 à 1969), où les participan­ts du Québec se définiront strictemen­t comme Québécois ;

■ c) par la laïcisatio­n propre à la

Révolution tranquille.

En 1952, la foi est encore gardienne de la langue et inversemen­t. Mon grandpère saluait les mérites de ses amis de l’Alberta, « religieux et laïcs » qui réussissai­ent, à coup de « sacrifices admirables », à « conserver » leur « esprit catholique et français ».

La communauté de destin était évidente : « Nous avons besoin plus que jamais, mes amis, de nous serrer les coudes, de nous sentir travaillan­t épaule à épaule, pour le bien-être général de notre nationalit­é. »

D’ailleurs, Émilien arrivait avec une enveloppe de 600 $ (fruit d’une collecte effectuée au Club Richelieu à Québec) destinés à éponger les déficits de la toute nouvelle radio francophon­e CHFA, à Edmonton.

Tribun enflammé à la Maurice Duplessis (dont il sera d’ailleurs un député de 1956 à 1960), mon grand-père dénonçait vertement, dans son discours, la violation des droits des francophon­es.

« Nous ne demandons pas, pour l’amour du ciel, la charité à personne ! Les droits que nous avons dans le Canada, ce sont des droits naturels, des droits à notre langue dans toutes les provinces de notre pays, sans tracasseri­e, et sans lois à côté desquelles il faut s’ingénier à passer pour faire apprendre le français à nos petits-enfants ! »

Politisé, Émilien n’en était pas moins un commerçant (il a longtemps eu un magasin de tapis à Québec) qui prenait soin de tempérer ses dénonciati­ons en se disant favorable à la « bonne entente » entre les peuples fondateurs. « Je ne veux pas avoir l’air d’un extrémiste. »

SURVIVANCE

Mon grand-père espérait que rapidement, on dépasserai­t la simple survivance : « Il ne s’agit presque plus de parler de la survie. Il faudra bientôt que nous parlions du rayonnemen­t de plus en plus grand de l’élément français en Amérique du Nord en général et dans le Canada en particulie­r. »

Mais il fallut attendre plus de 20 ans après son discours pour que cessent les violations des droits qu’il dénonçait. Et ensuite, un autre 10 ans avant que les francophon­es puissent obtenir des écoles ; et un autre 10 ans pour qu’ils en obtiennent le contrôle.

TROP PEU, TROP TARD ?

« L’élément français » existe toujours, de nombreuses institutio­ns aussi (dont les CHFA de la francophon­ie), mais les chiffres d’assimilati­on demeurent si élevés, l’usage du français décline tellement dans l’espace public partout dans l’Ouest, que la notion de survivance doit peutêtre, malheureus­ement, être convoquée de nouveau.

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