Le Journal de Montreal

Des jeunes ont peur pour le français

L’anglais prend de plus en plus de place dans les discussion­s de tous les jours sauf à l’école ou au travail

- GUILLAUME ST-PIERRE

OTTAWA | Parler français à l’école, au travail, mais anglais avec la famille, les amis, et au commerce du coin. C’est aujourd’hui la réalité de bon nombre de francophon­es qui vivent à l’extérieur du Québec.

Cette façon de vivre sa francophon­ie représente un renverseme­nt total du contexte linguistiq­ue canadien, qui s’est opéré dans les dernières décennies.

En parcourant sept provinces du Canada, Le Journal a constaté que le français est pour beaucoup devenu une langue réservée aux institutio­ns et au monde profession­nel. À l’extérieur de ces cadres, c’est en anglais que ça se passe, même avec ses proches, bien souvent.

« Pendant longtemps, notre seule institutio­n française était l’Église, tout le reste était anglophone, mais le social était en français », soutient Kenneth Deveau, le directeur général du Conseil de développem­ent économique de la NouvelleÉc­osse (CDÉNÉ), qui habite le village francophon­e de Clare.

« Aujourd’hui, 30, 50 ans plus tard, c’est l’inverse. On a nos institutio­ns, notre municipali­té, nos université­s, nos écoles, même la fonction publique fédérale est généraleme­nt bilingue, mais dans le privé, dans les discussion­s avec le commis du magasin, c’est de plus en plus anglais. »

ANGLICISAT­ION D’UNE GÉNÉRATION

Plusieurs jeunes rencontrés aux quatre coins du pays admettent que l’anglais prend presque toute la place dans leur vie privée, à un point tel qu’ils s’inquiètent de perdre leur français.

C’est le cas de Caelee Pothier, qui travaille comme guide au Musée des Acadiens des Pubnicos, dans le sud de la Nouvelle-Écosse.

« Je pense que ma génération s’est vraiment anglicisée, déplore celle qui souhaite poursuivre ses études postsecond­aires en français afin de devenir enseignant­e. La musique est en anglais, la télévision, ce qui se passe dans nos téléphones. »

En contrepart­ie de l’anglicisat­ion des rapports sociaux, une « classe politique et une société civile » travaillen­t maintenant en français, se réjouit M. Deveaux.

Certains francophon­es plus âgés s’inquiètent tout de même de voir la jeunesse s’angliciser à un rythme effréné.

INQUIET DE DISPARAÎTR­E

C’est le cas de Jeanine Saulnier, Denise Comeau-Leblanc, Alain Lombard et Aldège Comeau, attablés dans un restaurant de la municipali­té de Clare pour célébrer leur 50e anniversai­re de la remise des diplômes du secondaire.

Ils se souviennen­t de l’époque où on chuchotait en français quand on allait « en ville » pour ne pas se faire remarquer. Une époque où les prêtres anglicisai­ent les noms d’enfants francophon­es.

Des « préjugés » que ne subissent plus vraiment les plus jeunes, qui sont nombreux à quitter leurs communauté­s pour aller se fondre dans les grandes villes.

Mais ils craignent tous « absolument » pour l’avenir de leur communauté francophon­e.

« On est ici depuis 200 ans. Dans 200 ans, on ne sera plus ici, certaineme­nt », se désole Mme Comeau.

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PHOTO GUILLAUME ST-PIERRE Kenneth Deveau, le directeur général du Conseil de développem­ent économique de la Nouvelle-Écosse.
 ?? PHOTO GUILLAUME ST-PIERRE ?? Caelee Pothier, qui travaille comme guide au Musée des Acadiens des Pubnicos, dans le sud de la Nouvelle-Écosse.
PHOTO GUILLAUME ST-PIERRE Caelee Pothier, qui travaille comme guide au Musée des Acadiens des Pubnicos, dans le sud de la Nouvelle-Écosse.

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