Le Journal de Montreal

« Je me réveillais sous une pluie de bombardeme­nts »

- rodger.brulotte@quebecorme­dia.com

« MES DEUX ENFANTS SONT MA FIERTÉ ET MA RAISON DE VIVRE. » – Caroline Codsi

La femme d’affaires canadienne Caroline Codsi est née à Beyrouth dans une famille chrétienne. Ses parents, Denis et Renée, étaient de commerçant­s. Son père avait un atelier artisanal qui fabriquait des robes traditionn­elles brodées en or, et parmi les clients de sa boutique Adonis, il y avait la légendaire chanteuse Dalida.

Caroline a fondé La Gouvernanc­e au Féminin (LGAF) afin de soutenir et de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes. Elle fait partie des intronisée­s du top 100 des Entreprene­ures qui changent le monde, publié par Femmessor. Elle a aussi reçu pour son travail un prix au Canada qui lui a été décerné par les Nations-Unis.

Grâce à la création de La Gouvernanc­e au Féminin, le nombre de femmes augmente au sein des conseils d’administra­tion et comme cheffes d’entreprise.

Tu te réveillais sous une pluie de bombardeme­nts.

Je n’avais que sept ans et, chaque matin, je me réveillais au son d’une pluie de bombardeme­nts. Nous devions quitter notre maison luxueuse pour nous réfugier dans les sous-sols de garage. Nous avons dû dormir sur des matelas qui se trouvaient sur le sol du garage.

Des éclats d’obus ont détruit une partie de votre maison.

Pouvez-vous imaginer la réaction d’une enfant de sept ans en entendant ces bombardeme­nts et en voyant les éclats d’obus détruire une partie de sa maison ? J’étais inquiète pour mes parents. (Ici, une légère pause dans l’entretien pour laisser place à ses émotions, car elle n’a pas pu retenir ses larmes.)

La guerre civile a duré 15 ans.

De l’âge de 7 ans jusqu’à mes 22 ans, je quittais le Liban pour fuir la guerre civile et j’y revenais quand nous croyions que la guerre était finie.

Tu as vécu à Nice, Paris, Montréal.

De l’âge de sept ans à 16 ans, j’ai dû faire huit déménageme­nts internatio­naux. J’ai vécu à Nice, Paris, Montréal, et après chaque séjour, je retournais à Beyrouth après chaque cessez-lefeu, croyant que la guerre civile était terminée. Malheureus­ement, mon séjour était écourté par la guerre qui reprenait.

Tu as vécu à Montréal pendant quatre ans durant la guerre civile au Liban.

Durant mon séjour à Montréal, j’ai fréquenté le Collège internatio­nal Marie de France et le Collège Stanislas.

Durant ton séjour à Montréal, tu es devenue une « punk » !

Pendant un certain temps, j’ai eu les cheveux au dessous des fesses, j’ai changé ma couleur de cheveux en plusieurs occasions et j’ai eu les oreilles percées de plusieurs trous, pour ensuite raser mes cheveux très courts comme la chanteuse Sinéad O’Connor.

Comment a été ton retour au Liban ?

D’abord, c’est une jeune punk de 16 ans qui arrive à l’aéroport de Beyrouth, situé dans la zone musulmane. Cependant, dans le quartier chrétien, vous auriez été surpris d’apprendre que la mode vestimenta­ire pour les filles était supérieure à celle de Montréal.

Tu te promenais à moto.

J’étais révoltée. Dans les rues de Beyrouth, il y avait une

« punk » qui conduisait sa moto avec un gars sur le siège arrière.

Vous étiez privés d’électricit­é 22 heures par jour.

Nous avions deux heures d’électricit­é durant la nuit. Alors, encore une fois, je défiais mes parents en allant à la plage avec mon ami. Il y avait deux problèmes majeurs que je devais surmonter. Premièreme­nt, on n’avait pas de téléphone, et nous devions attendre parfois quelques jours avant de reprendre le chemin du retour, qui avait été bombardé.

La cour d’école a été bombardée.

Plusieurs enfants ont été tués et blessés lorsque la cour de l’école située à proximité de l’hôpital où travaillai­t ma mère a été bombardée. Le lendemain, ma mère a amorcé les préparatif­s afin que je quitte la maison pour aller étudier chez les religieuse­s à Paris.

Tu avais à faire le choix entre la mendicité et la prostituti­on.

Ma mère ne pouvait plus sortir de l’argent du Liban pour payer mes études, mon logement et ma nourriture. La mendicité et la prostituti­on étaient l’une des solutions.

Tu as fait quel choix ?

Aucun des deux, j’ai décidé de travailler les jours où je n’avais pas d’école dans une boutique de vêtements aux Halles. Après l’école, je gardais deux enfants tout en faisant de l’aide aux devoirs avec eux.

Finalement, à 22 ans, la famille est réunie à Montréal.

Mon père était un antiquaire. Pour la première fois depuis mes sept ans, mon père, ma mère, mon frère et moi vivions en famille, car auparavant mon père portait des armes pour défendre les chrétiens à Beyrouth.

Pourquoi as-tu quitté ton poste de vice-présidente exécutive d’une entreprise pharmaceut­ique ?

Je ne comprenais pas et, surtout, je n’acceptais pas que des femmes qui avaient un talent exceptionn­el n’étaient pas reconnues à leur juste valeur.

Quelle est la recette de tes succès ?

Le courage et la résistance que la vie m’a donnés. Aujourd’hui, mes deux enfants sont ma raison de vivre. Je suis tellement fière d’eux, car ils sont impliqués auprès de plusieurs organismes communauta­ires pour venir en aide aux autres.

La vie, c’est parfois une roue qui tourne.

Il y a cinq ans, la roue s’est arrêtée devant chez moi. L’homme avec qui je partage ma vie, c’est celui à qui j’ai donné mon premier baiser lorsque j’avais 10 ans.

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PHOTO D’ARCHIVES Caroline Codsi lors du passage de Hillary Clinton au Palais des congrès de Montréal, en octobre 2017.
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