Les immigrants, bouée de sauvetage des francos
L’exode rural et le vieillissement font mal aux communautés
CLARE, NouvelleÉcosse | Les immigrants sont la bouée de sauvetage à laquelle espèrent pouvoir s’accrocher beaucoup de communautés francophones hors Québec, face à l’exode rural et au vieillissement de la population.
Aujourd’hui, les nouveaux arrivants changent le portrait de la municipalité de Clare, en Nouvelle-Écosse, le fief des Acadiens de cette province.
Il n’y a pas si longtemps, Szaradeille Zamora aurait été à peu près la seule immigrante dans sa classe qui ne parlait pas un mot de français.
La mère de Szaradeille, Vera May Eunice Zamora, est arrivée des Philippines en 2018 pour travailler dans le secteur des pêcheries. Elle s’est établie en Nouvelle-Écosse l’année suivante après un bref séjour au Nouveau-Brunswick.
Dès son arrivée à Clare, ce fut « un choc ».
« Je savais qu’il y avait des francophones au Nouveau-Brunswick, mais pas ici ! », lance-t-elle.
Le choix d’envoyer sa fille à l’école française s’est rapidement imposé.
À Clare, il n’y a pas d’école anglaise. La plus proche se trouve à une trentaine de kilomètres. À 9 ans, Szaradeille est entrée en 4e année en français, sans parler un mot de la langue.
Un an plus tard, ses progrès sont phénoménaux.
« J’aime la communauté ici parce que les gens sont nice », lâche-t-elle.
Il n’y a pas à dire, la petite Szaradeille a tout pris de l’accent acadien du coin, qui est particulièrement prononcé.
« C’EST TOUGH »
À partir de Halifax, il faut longer la côte ouest de la Nouvelle-Écosse pendant plus de 300 kilomètres pour rejoindre la municipalité de Clare.
La route vallonneuse est bordée d’une épaisse forêt de conifères. Lorsqu’on quitte la Harvest Highway 101 pour rejoindre la Route 1, aussi appelée le chemin Évangéline, le paysage change, tant topographique que linguistique.
S’ouvre devant nous la scintillante baie Sainte-Marie, où face à elle fleurissent des maisons de bois décorées de mille drapeaux bleus, blancs et rouges.
Pas de doute possible, nous sommes en Acadie.
Comme beaucoup de communautés francophones hors Québec, Clare compte sur l’immigration pour continuer à exister à long terme. Mais la réalité est que le français dans le reste du pays fait face à des défis qui dépassent souvent la question linguistique, comme l’exode rural et la dénatalité.
Ces deux phénomènes sont particulièrement douloureux pour les francos.
Existentiels, même, comme leur présence historique hors Québec est surtout rurale.
En somme, les villages francos vieillissent et se vident au profit des grandes villes où le français est anonyme et où guette l’assimilation.
L’immigration constitue donc pour eux une planche de salut.
« L’enjeu demeure : comment on maintient notre population pour assurer le maintien de nos services, nos commerces, nos industries, nos écoles, tout ça ? » décrit Kenneth Deveau, le directeur général du Conseil de développement économique de la Nouvelle-Écosse (CDÉNÉ).
« L’immigration rurale, c’est tough .»
ÉCONOMIE
Comment, en effet, convaincre des gens d’ailleurs de venir s’établir à Clare ou tout autre village quand sa propre jeunesse la quitte souvent ?
Yalla Sangaré, qui est arrivé en Nouvelle-Écosse pour enseigner à l’Université Sainte-Anne il y a 23 ans, est bien placé pour parler de ces difficultés.
« En Sciences administratives, plus de 75 % de nos étudiants sont internationaux.
Mais dès qu’ils finissent, ils s’en vont vers les grands centres urbains comme Halifax, Montréal, Toronto ou Ottawa », dit-il avec une pointe de déception dans la voix.
Pendant des décennies, les francos hors Québec ont été occupés à créer leurs institutions, leurs écoles, leurs hôpitaux, et à défendre leurs droits.
Aujourd’hui, croit M. Sangaré, c’est l’économie, « le nerf de la guerre ».
« Les jeunes, pas seulement immigrants, mais les jeunes locaux aussi qui sont à Halifax, s’il y avait des opportunités pour eux ici, je pense qu’ils reviendraient », rêve-t-il.