Le Journal de Montreal

Le pont qui nous relie au passé est tombé...

- Richard.martineau@quebecorme­dia.com

Message aux vieux artistes : vous voulez que vos chansons jouent à la radio ?

Qu’on rappelle vos faits d’armes ?

Et qu’on vous remercie pour tout ce que vous avez fait pour déniaiser le Québec ?

Mourez.

C’est fou, ce que ça va faire à votre carrière.

Soudaineme­nt, tout le monde va se mettre à parler de vous.

Bon, j’en conviens, c’est un peu radical, mais ça fonctionne à tous les coups.

Quand Jean Lapointe est mort, tout le monde s’est mis à chanter C’est dans les chansons.

Pendant une semaine. Et puis après, on est revenu au top 40 du Billboard américain.

«JEMESOUVIE­NS»?

Jean Lapointe, Denise Bombardier, Brian Mulroney, Jean-Pierre.

(Sans oublier ceux qui, comme Karl Tremblay, sont fauchés dans la fleur de l’âge.)

Ça va se mettre à tomber comme des mouches.

Car c’est toute une génération qui vieillit à la vitesse grand V.

Et qu’est-ce que les jeunes disent pendant ce temps ?

« OK, boomer. »

Dans le sens : « Fermez votre gueule, on vous a déjà trop entendus. Tasse-toi mononcle, tasse-toi matante... »

On a tellement peu de mémoire qu’il a fallu écrire « Je me souviens » sur nos plaques d’immatricul­ation pour se rappeler de se rappeler.

Et si on disait « Merci, boomer » ?

En 1990, alors que j’avais 29 ans et les dents plus longues que les cheveux, j’ai commis un pamphlet humoristiq­ue sur les boomers.

Un livre qui est maintenant pilonné et dont personne ne se souvient.

Moi aussi, je trouvais qu’ils prenaient trop de place. Allez, ouste, de l’air !

Faut dire que les boomers aussi avaient dit ça à leurs prédécesse­urs.

Que disaient les Deschamps, Ferland, Charlebois, Filiatraul­t, Mouffe, Forestier, Plamondon, Dufresne, Tremblay, Sabourin et compagnie aux artistes qui tenaient le devant de la scène dans les années 50, avec leur accent pointu et leurs vieux pianos ? « Tiens-toé ben, j’arrive ! » À chaque génération, sa révolution.

UNE FORÊT DE SÉQUOIAS

Je regardais les témoignage­s d’amour émouvants à propos de Jean-Pierre, ce week-end, et les films d’archives qui se succédaien­t comme autant de fenêtres ouvertes sur ce monde étrange qu’est notre passé, et je me disais :

« Wow, quand même... Quelle génération ! Qu’estce que ma génération a fait à côté de celle-là ? Rien. On a continué. Eux ont tout commencé. Ils ont défoncé la porte à grands coups de pied. »

Je regardais ces visages défiler, et je me sentais comme le jour où je suis allé visiter le Muir Woods National Park en banlieue de San Francisco, il y a plusieurs années.

La plus grande forêt de séquoias au monde.

Des arbres tellement grands que j’en avais mal au cou, après une heure.

C’est pendant que ces géants sont encore avec nous qu’il faut les célébrer. Qu’il faut les remercier. Chaque fois que je revenais de voir Jean-Pierre, avec Sophie, je me pinçais dans mon auto. « Je viens de passer trois heures avec Jean-Pierre Ferland ! »

PERDRE LE NORD

Dans les Cantons-del’Est, on protège les vieilles granges, les vieux cimetières, les vieilles églises.

Dans les Laurentide­s, on démolit et on fait du neuf.

Le Québec, c’est les Laurentide­s.

Le pont qui nous relie au passé est tombé.

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