Le Journal de Montreal

Jean-Pierre Ferland, le plus doué d’entre nous

- Guy.fournier@quebecorme­dia.com

Je mangeais avec un couple d’amis, samedi soir, lorsque revenant de la cuisine avec le dessert, Maryse nous annonça la mort de Jean-Pierre Ferland.

Mon coeur a cessé de battre. Comme chaque fois que j’ai appris la mort d’une personne avec qui j’ai vécu les débuts de la télévision et l’éclosion d’une culture parlant sans complexes notre langue de tous les jours. Nous vivions alors deux révolution­s : celle, tranquille, dont on parle toujours et celle, culturelle, qu’on n’a jamais identifiée comme telle.

La grève des réalisateu­rs de Radio-Canada nous avait soudés, Marcel Dubé et moi, Raymond Lévesque, Claude Léveillée, Hervé Brousseau et quelques autres. C’est Hervé qui imagina Les Bozos avec Clémence DesRochers. Ils accueillir­ent dans le groupe un petit nouveau qu’on connaissai­t à peine, Jean-Pierre Ferland. Celui-ci avait ses entrées au canal 2. Il connaissai­t « personnell­ement » tous les annonceurs de Radio-Canada.

ÉDITH PIAF DÉCOUVRE CLAUDE LÉVEILLÉE

Gravitaien­t aussi autour André Gagnon, dont Léveillée avait fait son accompagna­teur, Jacques Blanchet, qui remplaça Léveillée lorsqu’il partit pour Paris afin de tenter gloire et fortune avec Édith Piaf. Deux soirs d’affilée, à la demande de Claude, je lui avais tenu compagnie durant son tour de chant. Décharnée, tremblotan­te, l’air d’une très vieille femme, c’est à peine si nous avions échangé quelques mots. Piaf n’avait d’yeux et d’oreilles que pour Claude.

C’est l’époque où chacun de nous cherchait sa voie. Dubé et moi n’avions pas d’autre talent que l’écriture. Raymond Lévesque pouvait chanter. En plus de chanter, Clémence DesRochers, Claude Léveillée, Hervé Brousseau et même Jean-Pierre Ferland pouvaient aussi jouer la comédie. Marcel écrivit donc la petite Julie de La côte de sable

pour Clémence, j’écrivis pour Brousseau un rôle dans Le grand duc (que personnifi­ait Jean, son frère aîné), Claude Léveillée fit le clown Clo-Clo dans l’émission Domino au canal 2 et Jean-Pierrre Ferland joua Marcel Fournier dans la série de Roger Lemelin En haut de la pente douce.

NOS CHEMINS SE SÉPARENT

Quelques mois après, les Bozos quittent le restaurant Lutèce, rue Crescent, et chacun emprunte son propre chemin. Je vois Jean-Pierre occasionne­llement dans les coulisses du canal 2 ou du canal 10 (car il y a maintenant deux télévision­s), puis chez lui, à la maison qu’il achète à Saint-Norbert et enfin, chez moi, à Saint-Paul d’Abbotsford en octobre 1970.

Jean-Pierre a terminé l’enregistre­ment de Jaune chez André Perry et il m’offre de venir écouter l’album en primeur chez moi avec Michel Robidoux et quelques amis. Après avoir bien bu et bien mangé, nous découvrons ces chansons qui nous bercent depuis un demi-siècle. Seul bémol : mon Braun audio ne fait pas justice à Jaune et Jean-Pierre n’est pas content. Dès le lendemain, je donne mon Braun à l’un de mes fils.

Même si je n’ai pas revu Jean-Pierre très souvent depuis, je n’en ai pas moins le coeur serré. Comment pourrait-il en être autrement lorsque disparaît le plus doué d’entre nous ? De notre petite clique de l’époque, il ne reste plus que Clémence et moi.

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Jean-Pierre Ferland

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