Des villes se gâtent sur votre bras
Au moment où le milieu municipal crie famine, certaines achêtent des camionnettes électriques à fort prix
Une camionnette électrique neuve à 100 000 $ pour Saint-Lazare, un modèle légèrement usagé pour la moitié du prix à Saint-Félicien : les villes québécoises adoptent des approches très différentes de la gestion des fonds publics.
Au nom de la transition écologique, plusieurs villes ont récemment acheté des pick-up électriques neufs qui coûtent chacun dans les six chiffres, a constaté notre Bureau d’enquête.
Saint-Bruno-de-Montarville, Chambly et Saint-Lazare, en Montérégie, ainsi que Shawinigan, en Mauricie, ont toutes acquis des Ford F-150 Lightning à plus de 100 000 $ au cours de la dernière année.
Prévost, dans les Laurentides, s’est même payé le modèle de luxe « Lariat », qui inclut les sièges et le volant chauffants en cuir et les essuie-glaces qui détectent la pluie.
« L’an dernier, le seul modèle électrique disponible était le Lariat », explique Audrey-Anne Lamarre, de la Ville de Prévost. Elle assure que la municipalité de 14 000 habitants économisera environ 4500 $ par année d’essence et rentabilisera rapidement son achat.
Le manque de disponibilité de la version de base du Ford F-150 Lightning a d’ailleurs été systématiquement invoqué pour justifier l’achat de modèles plus équipés et plus onéreux.
Certaines villes ont tout de même réussi à faire de meilleures affaires. Richelieu et Marieville, en Montérégie, ont toutes deux trouvé des modèles moins luxueux qui ont coûté environ 75 000 $ chacun.
D’OCCASION, ÇA VA AUSSI
D’autres municipalités optent carrément pour des camionnettes d’occasion, disant vouloir préserver les deniers publics.
C’est notamment le cas de Saint-Félicien, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, qui a récemment fait l’achat d’un Ford F-250 2021 pour quelque 53 000 $.
« Nous avons acheté usagé par souci des fonds publics, car les camionnettes neuves sont vraiment trop dispendieuses », a indiqué Linda Lachance, adjointe à la direction générale et à la mairie.
Son de cloche similaire à Saint-Alexandre, en Montérégie, qui a acquis en décembre dernier un GMC Sierra 2022 pour 55 000 $.
MANQUE D’ARGENT, VRAIMENT ?
Les municipalités québécoises multiplient les sorties publiques depuis quelques mois, disant être à court de ressources financières, notamment pour financer le transport en commun.
Selon une analyse réalisée par Équiterre, sur neuf ans, une camionnette électrique neuve serait moins chère d’environ 30 000 $ qu’un véhicule à combustion neuf, toutes dépenses comprises. L’organisme n’a cependant pas considéré l’option d’un véhicule d’occasion, qui, lui, pourrait s’avérer plus économique.
Quant aux émissions de carbone, elles seraient cinq fois moins importantes avec une camionnette électrique sur sa durée de vie, à raison de 25 000 km par année.
OCCASION RATÉE
D’ailleurs, les municipalités ont invoqué la diminution des gaz à effet de serre pour justifier leur achat. Mais pour Pierre J. Hamel, professeur à l’INRS spécialisé en finances publiques locales, « quand on se paye un pick-up qui vaut le prix de deux pick-up, on rate une belle occasion d’investir [ailleurs] pour atténuer les changements climatiques ».
Selon lui, la rénovation des édifices municipaux, qui sont de véritables « passoires thermiques », aurait un impact beaucoup plus significatif sur l’environnement.
« Je ne pense pas que les véhicules électriques, ce soit une priorité. »
Il ajoute aussi que les villes devront faire face de plus en plus à des catastrophes climatiques, comme des inondations et des coupures massives de courant.
« Imaginez une municipalité qui se ramasse avec plein de véhicules électriques inutilisables quand le courant vient de tomber », illustre M. Hamel.