Combien de vos membres rejettent la laïcité ?
J’ai pris connaissance de la volonté de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) de demander à la Cour suprême « d’encadrer » davantage le recours à la clause dérogatoire dans la perspective de l’interdiction du port de signes religieux pour le personnel enseignant.
La FAE est un syndicat important au Québec et le mouvement syndical québécois a été un acteur central de l’émergence d’une nation québécoise au cours de la Révolution tranquille. Je m’en suis donc inquiété.
Les gros mots ont été assénés, au premier chef le mot populiste. Selon la présidente de la FAE, « Depuis [...] cinq ans, on voit un peu partout au Canada et dans le monde en général, de plus en plus de droits humains qui sont remis en question par une montée du populisme. » Qu’est-ce qui justifie cet usage qui semble manquer de sobriété ? Lorsque la majorité de la population du Québec, héritière de la Révolution tranquille qui a sorti l’autorité de la religion des écoles et de l’État, souhaite qu’on n’expose pas les enfants aux préférences religieuses des uns et des autres, et singulièrement les enfants à celles du personnel enseignant, la FAE fait du populisme.
Le mot apparaît exagéré et suggère que la majorité des Québécois qui adhèrent à la laïcité seraient en fait victimes d’une forme de vulnérabilité intellectuelle. Préoccupant. Le niveau de scolarisation des Québécois a rejoint celui du reste de l’Occident justement grâce à la Révolution tranquille.
RECUL
La clause dérogatoire est un des rares paravents pour éviter que le gouvernement des juges, assujetti à la Charte canadienne et multiculturaliste des prétendus droits et libertés de la personne, ne se substitue à celui du peuple qui s’exprime par le choix démocratique des gouvernements au sein d’un Parlement toujours souverain. On peut douter que la Cour suprême donne raison à la FAE, ce qui serait un grave recul pour les droits collectifs au bénéfice d’un activisme qui les dessert.
S’il appartient aux instances du syndicat de prendre de telles décisions, on peut se demander combien de ses membres rejettent la laïcité de l’État québécois chèrement acquise par leurs prédécesseurs.
En sommes-nous au point où un syndicat utilise le Canada contre le Québec et épouse le multiculturalisme canadien pour se rallier la part des membres qui veulent imposer leurs propres signes religieux ?
Pour ce faire, la FAE se revendique de « droits fondamentaux » définis par Pierre-Elliot Trudeau lors du rapatriement de la Constitution, à laquelle le Québec, tous partis confondus, a toujours refusé d’adhérer et dont la Charte des droits avait justement pour but d’affaiblir le Québec au bénéfice de prétendus droits individuels.
TRIBUNAUX
L’évocation systématique de la Charte des droits est la pièce maîtresse de l’arsenal des activistes farouchement opposés à l’existence d’une nation québécoise qui parle sa propre langue et est porteuse de ses propres valeurs, aussi accueillantes et progressistes soient-elles. Il faut nous en méfier.
Cette atomisation des droits au sein des sociétés occidentales qui ont adopté le multiculturalisme postule que le nationalisme est une appartenance honteuse à une identité collective, et invite les minorités à déconstruire par la séquestration de l’espace national au bénéfice d’une mosaïque culturelle sans creuset commun, si ce n’est, à terme, l’anglais.
Le recours aux tribunaux est toujours légitime en plus d’être révélateur. Si par inadvertance il devait donner raison à ce désir de déconstruction du Québec hérité de la Révolution tranquille, ce serait la preuve que le cadre institutionnel et juridique qui nous gouverne mérite soit qu’on le change, soit qu’on le quitte. Yves-François Blanchet,
Chef du Bloc Québécois