Deux députés avocats dans une situation délicate
Quand on est député et avocat, on devrait cesser toute pratique professionnelle parallèle, non ?
A fortiori lorsqu’on est « porte-parole » dans son domaine de spécialisation.
Car alors, on est à la fois législateur et « en affaires » dans ce même domaine.
Selon mes vérifications, au moins deux parlementaires actuels se retrouvent dans cette situation délicate : Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire; et Brigitte Garceau, du Parti libéral.
RÈGLES ET LIMITES
J’ai pris conscience de certains problèmes potentiels après avoir consulté l’avis de la Commissaire à l’éthique (CAE) produit pour une parlementaire avocate, Marie-Claude Nichols.
Réélue le 3 octobre 2022 dans Vaudreuil comme libérale, Nichols est rapidement devenue indépendante après une querelle au caucus. La députée a alors demandé à la CAE si elle pouvait reprendre, à temps partiel, la pratique du droit de la famille. Le code d’éthique ne prévoit pas d’« exclusivité de fonction ».
La commissaire Ariane Mignolet croit toutefois qu’il y a « risque » d’« apparence de conflit d’intérêts » et lui a indiqué une série de règles déontologiques à respecter. L’élue ne doit pas se placer dans une situation où son « intérêt personnel » pourrait influencer son « indépendance de jugement dans l’exercice de [sa] charge ».
Un élu avocat doit éviter tout geste pouvant laisser penser qu’il souhaite se « bâtir une clientèle ». Il doit aussi, insiste la commissaire, refuser tout mandat d’électeur ou d’entité de sa circonscription.
La pratique du droit ne doit pas empiéter sur la charge de député. Il faut rencontrer ses clients « en soirée lors des jours de semaine et la fin de semaine », en dehors des moments où l’élu doit être disponible (bureau et travaux parlementaires).
Le député avocat ne doit pas non plus utiliser les adresses courriel de l’Assnat, ni ordi ni cellulaire.
Ces mêmes limites et règles s’appliquent aux cas Cliche-Rivard et Garceau.
Le député avocat de QS insiste : il a obtenu un avis de la commissaire Mignolet en juin 2023 au sujet du « maintien de ses activités professionnelles » et se conforme à cet avis. Il m’a donné accès à la conclusion seulement. C’est son droit.
Il jure n’avoir « ni facturé, ni travaillé pro bono depuis son élection », ni plaidé devant le tribunal, bien qu’il ait effectué « certains suivis » sur des dossiers déjà en cours avant son élection. Il « fournit des conseils aux avocats de son cabinet ».
Porte-parole en immigration pour QS, il est aussi l’unique actionnaire d’un cabinet en droit de l’immigration qui « comporte entre 5 et 10 employés salariés selon les périodes (avocats, adjoints juridiques, personnel administratif, étudiant-es stagiaires) », bref une PME. Lui seul a donc accès aux profits.
Critique libérale en matière de DPJ, Brigitte Garceau pratique le droit familial depuis 1992 chez Robinson Sheppard Shapiro, grand cabinet dont elle est une associée.
Elle figure d’ailleurs toujours sur le site web.
Selon les communications du PLQ, depuis son élection, « elle conclut encore quelques dossiers » pour lesquels elle aurait brièvement plaidé devant le tribunal. Son cabinet a facturé.
Après m’avoir dit qu’elle avait obtenu un avis écrit de la CAE, le PLQ m’a précisé qu’en fait, ce furent « des avis verbaux » et que tout est conforme.
J’y reviendrai.