Le Journal de Montreal

Ma mère a été malheureus­e toute sa vie

- Rodger Brulotte rodger.brulotte@quebecorme­dia.com

D’origine belge, la femme d’affaires Cora Mussely Tsouflidou est née à Caplan, un petit village en Gaspésie. En passant, ses bonbons favoris étaient le poisson capelan séché.

J’ai choisi de partager les moments tristes de sa jeunesse, car je pense que cela inspirera de nombreuses femmes à persévérer même si certains moments de leur vie sont tristes. La fondatrice des restaurant­s Cora n’a jamais craint de relever des défis. La spécialité à son premier restaurant était les crêpes qu’elle avait appris à faire en voyant sa mère cuisiner.

Elle m’a souligné que malgré le fait que sa jeunesse a été marquée par beaucoup de tristesse autour d’elle, l’adversité a fait d’elle une femme meilleure.

Elle est très reconnaiss­ante envers ses employés de Chez Cora, car sans eux l’entreprise n’aurait jamais connu autant de succès. Elle ne comprend toujours pas qu’elle soit devenue une femme d’affaires, elle qui voulait devenir une écrivaine.

Votre mère a été malheureus­e toute sa vie.

Maman était une enseignant­e lorsqu’elle est tombée en amour avec un homme qu’elle s’apprêtait à marier.

Pourtant vous m’avez dit que votre mère a été malheureus­e toute sa vie.

À compter du moment où l’Église catholique l’a empêchée de marier l’homme qu’elle aimait parce qu’il était un protestant.

Avait-elle retrouvé le bonheur de la vie avec votre père ?

Pas du tout. Ma mère, Paula, a rencontré mon futur père, Amédée, lors de son retour à Caplan après qu’il avait travaillé à Timmins en Ontario. Par la suite, malgré le fait qu’ils se sont mariés, elle a toujours été triste.

Ton père était un commis voyageur en Gaspésie.

Le fait qu’il travaillai­t pour une coop, il devait quitter la maison le lundi matin pour amorcer sa tournée de clients et il revenait le vendredi après-midi.

Son retour à la maison n’était pas toujours joyeux.

Je me souviens encore de la douleur qu’il ressentait lorsqu’il s’asseyait dans son fauteuil en sirotant une bière en écoutant la voix du soprano américain Mario Lanza. Ce n’était pas facile de voir mon père pleurer parce qu’il avait beaucoup de chagrin du fait que ma mère ne l’a jamais aimé.

Pourquoi les enfants ne comprenaie­nt pas que vos parents étaient si tristes ?

C’est facile à comprendre aujourd’hui. Plusieurs années plus tard, après la mort de mon père, atteint de leucémie, et un an plus tard la mort de ma mère, une tante, la soeur de ma mère, nous a dit pourquoi l’amour entre ma mère et mon père était inexistant.

Revenons à vos années de jeunesse.

À l’école primaire, j’ai découvert ma passion des lettres de l’alphabet et je m’en servais pour écrire. J’ai appris que lorsque les lettres O et R sont jointes pour former un mot cela voulait dire de l’or, la seule richesse que nous avions à la maison, la bague en or de mariage de ma mère. Malheureus­ement, elle souffrait d’eczéma aux doigts et ça l’obligeait souvent à retirer sa bague de son doigt.

Votre mère était merveilleu­se malgré sa tristesse.

Maman était triste, mais très vaillante. Je la vois encore dans la petite cuisine de Caplan découper dans un vieux drap blanc de longues bandelette­s de tissus avec lesquelles elle enroulait ses doigts craquelés d’eczéma.

« JE PENSAIS DEVENIR UNE ÉCRIVAINE ET NON PAS UNE FEMME D’AFFAIRES. » – Cora Tsouflidou

Votre mère vous habillait avec différents tissus qu’elle ramassait.

Entre autres, elle enlevait les tissus de l’intérieur d’un manteau. Elle trouvait le moyen de rendre mes vêtements élégants aux yeux de mes amis. Mais plus important encore, j’ai appris à faire des crêpes en la regardant cuisiner chaque matin.

Vos grands-parents ont joué un rôle important dans votre vie.

Ils étaient nos voisins immédiats, donc chaque fois que maman était incommodée par son eczéma aux doigts nous allions chez eux. Mon grand-père a joué un rôle très important dans ma vie.

La famille s’est déplacée d’une ville à l’autre.

Nous sommes partis de Caplan vers Sainte-Flavie, près de Rimouski, ensuite à Sainte-Foy pour finalement aboutir à Montréal. Papa travaillai­t chez Canada Packer.

Vous avez quitté la maison à l’âge de 13 ans.

J’entreprend­s mon cours classique à l’Institut Cardinal-Léger de Montréal, rêvant de devenir écrivaine. Mon cours classique s’est poursuivi aux Eudistes.

Vous étiez inscrite à la réputée Université Sorbonne à Paris.

Les soeurs religieuse­s ont cru en moi. Elles ont fait les démarches nécessaire­s afin que je sois acceptée à cette réputée université. Cependant, une semaine avant la fin de mon cours classique, ma vie a pris un autre tournant. Malheureus­ement, pas pour le mieux, j’étais pour suivre les traces de la vie de ma mère.

Vous êtes tombée en amour.

Lors d’une soirée à Montréal avec mes amies, j’ai fait la rencontre d’un homme dont je suis tombée amoureuse. Ayant étudié le grec, je vous le décris comme étant un Adonis à mes yeux. J’ai dû refuser la possibilit­é d’aller à Sorbonne, car j’étais enceinte.

Vous étiez triste le jour de votre mariage.

Mes parents m’ont dit que je pouvais revenir vivre chez eux et qu’ils m’aideraient à élever mon enfant. Cependant, mon Adonis a décidé qu’il voulait me marier. À la sortie de l’église après la cérémonie de mariage, il a retiré sa bague et il m’a dit qu’à ses yeux, il n’était pas marié. Après treize ans de mariage, je l’ai divorcé pour aller vivre avec mes trois enfants chez mes parents. Par la suite, ce fut le début de ma carrière de femme d’affaires.

La tragédie vous a frappée en plein fouet.

Un an après le décès de mon père, ma mère est partie avec mes trois enfants en auto en direction de la Gaspésie. Une fois arrivée à la porte de ma ville natale, Caplan, la voiture de ma mère a été foudroyée par un camion. Mes trois enfants ont été sains et saufs. Ma mère est décédée.

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 ?? PHOTO FOURNIE PAR RESTAURANT CORA ?? Cora Mussely Tsouflidou se trouve devant le siège social de sa chaîne de restaurant, Cora.
PHOTO FOURNIE PAR RESTAURANT CORA Cora Mussely Tsouflidou se trouve devant le siège social de sa chaîne de restaurant, Cora.

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