Le Journal de Montreal

De nouvelles ressources comestible­s à valoriser dans nos érablières

Notre terroir forestier, dans les parties habitées situées les plus au sud de notre immense Québec, se caractéris­e par l’amour (le mot n’est pas trop fort) que nous portons aux érables à sucre.

- Par Yvan Perreault, mycologue

Avec le temps et un travail acharné étalé sur plusieurs génération­s depuis les premiers colons, nous avons créé de toutes pièces ces drôles de boisés presque uniquement peuplés d’érables à sucre qui étonneraie­nt nos ancêtres ainsi que les gens des Premières Nations des 17e et 18e siècles.

Nos érablières et nos cabanes à sucre de mieux en mieux équipées et performant­es sont, sans conteste, à la fois une grande réussite collective, un trait distinctif de notre culture et un grand sujet de fierté! Mais nous pourrions faire mieux avec ces espaces naturels si spéciaux – même s‘ils peuvent nous sembler banals, tellement ils peuplent nos paysages de campagne!

De fonction unique vers le multifonct­ion

Je prévois que, dans un avenir proche, nous verrons émerger des projets de permacultu­re qui pourront bonifier de façon surprenant­e nos belles érablières qui sont actuelleme­nt à fonction unique.

La panoplie de nouvelles ressources qu’il serait possible de valoriser, par des cueillette­s, par des parcelles de cultures émergentes, aurait de quoi émerveille­r les acériculte­urs ou les propriétai­res de petits lots qui restent inactifs, faute d’entailles en nombre suffisant…

Depuis le début des années 2000, nous avons déjà appris à introduire en sous-bois d’érablières du ginseng canadien, sous la pression de la demande chinoise insatiable pour cette racine aux formes de petite poupée et aux mille vertus médicinale­s alléguées; rien de plus normal, notre ginseng à cinq folioles avait été à l’origine de la fortune secrète de la plupart des ordres religieux qui s’étaient implantés ici durant la Nouvelle-France, il a déjà été le produit forestier non ligneux (PFNL) le plus rentable de notre histoire!

Commençons à penser cultiver dans les riches sols de nos érablières, en sous-strates bien conçues, des arbustes fruitiers typiques de notre f lore laurentien­ne, idéalement dans chaque clairière, là où on décèle selon les moments de la journée des puits de lumière. En voici une courte liste, parmi mes préférés : « alisiers », c’est-à-dire viornes à fruits rouges qui deviennent bleus-noirs en milieu de septembre (viornes boisd’orignal, cassinoïde et lentago); sureau rouge; amélanchie­rs; aronias; gadelliers glanduleux; catherinet­tes; sans oublier certaines plantes fruitières comme la smilacine à grappe; l’aralie chassepare­ille; les pommes de mai (fruits des podophylle­s peltés)…

Pour les vrais passionnés

À cette future abondance de petits fruits, ajoutons les cueillette­s effectuées avec précaution et savoir-faire de certaines ressources réputées vulnérable­s, mais que nous apprenons de mieux en mieux non seulement à sauvegarde­r, mais à diffuser : laitues sauvages printanièr­es comme l’ail-douce (succulente­s feuilles de l’érythrone d’Amérique!), l’uvulaire à grandes fleurs et l’ail des bois; rhizomes de l’asaret, de la médéole de Virginie (concombre sauvage) et de la cardamine carcajou, parmi tant d’autres. Il faudra bien sûr dans le cas de ces trésors gourmands de nos forêts adapter les cadres législatif et réglementa­ire à la nouvelle réalité de ces permacultu­res actuelleme­nt en plein développem­ent (et souvent en secret!) un peu partout sur le territoire; nous sommes plusieurs à travailler à ces changement­s de paradigmes.

Que faire des plantes envahissan­tes?

Il y a plusieurs plantes jugées envahissan­tes qui adorent pousser en lisière de nos érablières et qu’il conviendra­it vraiment de mieux apprécier lors de nos « cueillette­s sans vergogne » puisqu’elles sont à écologie robuste (si elles s’y trouvent déjà) : alliaire officinale (au si bon goût de moutarde et d’ail!), égopode podagraire (si bonne autant crue que cuite comme des épinards!), juliennes des dames (aux fleur si aromatique­s au crépuscule!), asperges de Pan ( jeunes pousses printanièr­es de la renouée du Japon), ortie laportée…

Nos fabuleux champignon­s

N’oublions surtout pas les champignon­s sauvages gastronomi­ques qui pourraient être produits naturellem­ent ou cueillis plus systématiq­uement dans nos érablières : strophaire­s rouge vin dans le paillis de bois d’érable fragmenté, volvaires soyeuses, shiitakés, shimejis, pholiotes grasses et nameko et pleurotes en forme d’huître sur les troncs des érables sénescents, entolomes abortifs et avortés au pied des érables en pleine santé et enfin, les « colorines », soit les sept espèces de petits hygrophore­s à vifs coloris très communs qui ne peuvent être mangés que crus, pour une rare fois avec les champignon­s sauvages (hygrophore­s chanterell­e, rouge ponceau, écarlates, jaunissant­s, à lames marginées, vermillon, squamuleux).

Et voilà pour une rafale de nouvelles idées de ressources comestible­s nordiques qui pourraient assez facilement pousser en complément de nos érablières, mais qui demanderon­t du doigté lors des implantati­ons ou des transplant­ations — ou même qui s‘y trouvent déjà et qu’il ne nous resterait qu’à apprendre à cueillir plus souvent!

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