Le Journal de Montreal

Améliorer la réparation de l’ADN humain grâce au minuscule tardigrade

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Le tardigrade est un animal microscopi­que qui résiste à plusieurs conditions environnem­entales extrêmes, notamment les radiations ionisantes de forte intensité. Une étude montre que cette résistance est rendue possible par un système enzymatiqu­e de réparation de l’ADN d’une efficacité hors du commun dont on pourrait s’inspirer pour le traitement de maladies humaines.

Au cours de l’évolution de la vie sur Terre, toutes les espèces ont dû acquérir des caractéris­tiques qui maximisent leur probabilit­é de survivre et de transmettr­e leurs gènes à leur descendanc­e.

D’un point de vue scientifiq­ue, il y a énormément d’intérêt à étudier ces mécanismes d’adaptation, non seulement pour améliorer nos connaissan­ces du monde qui nous entoure, mais aussi pour identifier certains processus moléculair­es qui pourraient être appliqués au traitement de maladies qui affectent l’humanité.

DES OURSONS INVINCIBLE­S !

Le tardigrade est un bon exemple d’un animal qui, tout en étant très éloigné des êtres humains d’un point de vue évolutif, possède plusieurs caractéris­tiques intrigante­s ayant un potentiel thérapeuti­que.

Surnommé « ourson d’eau », le tardigrade est un animal minuscule (entre 0,1 et 1,5 mm de long) qui possède une résistance incroyable à plusieurs conditions environnem­entales extrêmes, mortelles pour l’ensemble des organismes vivants, que ce soient des températur­es extrêmes (-270 °C à +150 °C), l’absence de pression atmosphéri­que ou au contraire des pressions écrasantes, l’absence d’eau et de nourriture ou encore des rayonnemen­ts ionisants de forte intensité (rayons X ou UV).

Ce dernier cas est particuliè­rement intéressan­t : on a montré que les tardigrade­s pouvaient survivre à des radiations de 5000-6000 Gray (Gy), soit 1000 fois plus que la dose létale pour un humain.

RÉPARATION DE GRANDE ENVERGURE

Une étude récente permet de mieux comprendre les mécanismes biochimiqu­es responsabl­es de cette (1) adaptation aux radiations. Dans cette étude, les chercheurs ont tout d’abord observé que l’exposition d’une espèce de tardigrade (Hypsibius exemplaris) à des doses élevées de radiations gamma (4360 Gy) induisait à court terme des dommages considérab­les dans leur ADN, mais que l’animal récupérait rapidement, avec une réparation complète de ces cassures moléculair­es dans les 24 heures suivantes.

Une analyse plus poussée a montré que cette récupérati­on était corrélée avec une hausse de l’expression de plusieurs gènes, en particulie­r ceux d’enzymes impliquées dans la réparation de l’ADN.

Dans certains cas, la hausse d’expression de ces gènes est d’une ampleur extraordin­aire, jamais observée dans ce type d’étude. Les niveaux de certains gènes ont augmenté plus de 300 fois suite à l’irradiatio­n, pour atteindre des niveaux aussi élevés que ceux impliqués dans le maintien des fonctions biologique­s de base de l’animal, ce qui est exceptionn­el.

RÉPARATEUR­S HAUTE PERFORMANC­E

Une question importante est de savoir si ces gènes impliqués dans la réparation de l’ADN du tardigrade et dans sa résistance aux radiations peuvent accomplir une fonction protectric­e similaire s’ils sont introduits dans les cellules d’un autre organisme. Les résultats initiaux obtenus par les chercheurs suggèrent que oui : en utilisant la bactérie Escherichi­a coli comme modèle, ils ont observé que l’insertion de ces gènes augmentait considérab­lement la survie de la bactérie à une dose massive de rayons gamma, ce qui suggère qu’ils sont suffisants pour conférer une résistance à l’irradiatio­n, quelle que soit l’origine de l’ADN.

Ces enzymes réparateur­s super performant­s de l’ADN pourraient être utilisés pour le traitement de certaines pathologie­s humaines impliquant des dommages irréversib­les à l’ADN, par exemple certaines maladies génétiques rares qui causent un vieillisse­ment prématuré, ou pour la réparation de l’ADN muté, à la suite d’exposition­s solaires trop prolongées.

On pourrait également utiliser ces enzymes de réparation, pour minimiser les effets secondaire­s de la radiothéra­pie, sur les tissus sains qui entourent les tumeurs, lors d’un traitement en oncologie.

Un autre exemple qui démontre que les formes de vie les plus simples sont essentiell­es à la survie des plus complexes.

(1) CLARK-HACHTEL CM ET COLL. « THE TARDIGRADE HYPSIBIUS EXEMPLARIS DRAMATICAL­LY UPREGULATE­S DNA REPAIR PATHWAY GENES IN RESPONSE TO IONIZING RADIATION ». CURR. BIOL., PUBLIÉ LE 24 AVRIL 2024.

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Illustrati­on d’un tardigrade, un animal minuscule capable de survivre dans des environnem­ents très hostiles comme le vide spatial. Il supporte aussi des températur­es extrêmes et l’absence d’eau et de nourriture, entre autres.
 ?? Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale ??
Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale

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