Le Journal de Montreal

Sortir les écrans des écoles : une question de santé publique

- Réjean Bergeron, philosophe et auteur

La façon de fonctionne­r du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, demeure pour moi une énigme. Il se donne un tableau de bord pour obtenir des données probantes, met sur pied un comité de sages sur l’identité de genre, visite des écoles et s’entretient avec des enseignant­s pour bien saisir la réalité du milieu scolaire...

Toutefois, lorsque vient le temps de prendre une décision importante, trop souvent il se laisse guider par son humeur du moment, ses opinions personnell­es ou même le gros bon sens...

Sa décision d’interdire les toilettes mixtes dans les écoles, par exemple, illustre à merveille cette façon de faire. Ainsi, au lieu d’attendre le rapport de son comité de sages, notre ministre de l’Éducation a préféré s’en remettre à son « expertise en intimité » pour clore le débat. Pouvait-on s’attendre à une décision aussi peu scientifiq­ue de la part d’un ministre de l’Éducation ?

TÉLÉPHONES

Maintenant, qu’adviendra-t-il du dossier de la présence des téléphones personnels dans nos institutio­ns d’enseigneme­nt ? Après des mois et des mois de tergiversa­tions, le ministre a finalement suivi les recommanda­tions des experts en interdisan­t le téléphone intelligen­t dans les salles de cours.

Cette décision n’a malheureus­ement pas réglé le problème de fond. C’est qu’il fallait aller plus loin, faire preuve de vision et de courage en interdisan­t carrément le téléphone dans l’ensemble de l’école, y compris dans la cour de récréation.

Sur cette question – et plusieurs autres

–, le ministre est sans cesse en retard de quelques wagons, préférant les regarder passer au lieu d’en être la locomotive. Pourtant, il n’y a pas de doute, tôt ou tard il devra, comme l’ont déjà fait de nombreux pays, en venir à la conclusion que ces téléphones n’ont absolument pas leur place à l’école.

Ces appareils empêchent les jeunes de socialiser et de bouger, sont source de distractio­n, d’angoisse et d’anxiété, sont propices à l’intimidati­on, en plus de nuire aux apprentiss­ages.

Sur ce dernier point, comme le souligne en gros caractères l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), « même s’il n’est pas utilisé, la simple présence du cellulaire en classe peut nuire au fonctionne­ment optimal de la mémoire de travail des étudiants », faculté fondamenta­le pour l’acquisitio­n de connaissan­ces chez l’être humain.

ENVAHISSEM­ENT

Et ce qui est dit ici au sujet du téléphone cellulaire s’applique également à l’ensemble des autres écrans qui ont envahi d’une manière anarchique le monde de l’éducation depuis quelques années. Lire sur une tablette numérique ou prendre des notes à l’aide d’un portable n’apporte « aucune valeur ajoutée à la compréhens­ion de texte ou à l’apprentiss­age », précise l’INSPQ.

Par ailleurs, le multitâche numérique qui consiste à naviguer sur internet et à utiliser plusieurs applicatio­ns à la fois dans un contexte scolaire, loin d’être efficace comme certains peuvent le penser, affecte négativeme­nt les différents processus cognitifs à l’exemple de la concentrat­ion chez les élèves.

Plusieurs pays ont déjà fait marche arrière concernant l’omniprésen­ce des écrans en classe et ont redécouver­t par le fait même les vertus du crayon, de l’écriture cursive, du livre papier et, surtout, du contact humain qui se doit d’être au centre de tout projet éducatif qui a pour mission de former les citoyens de demain.

Sortir les écrans des écoles ne constitue ni une coquetteri­e ni un sujet anodin, mais une réponse à un grave problème de santé publique qui exige d’être pris à bras-le-corps dans les plus brefs délais par le ministre de l’Éducation avant tout, mais aussi par les parents et l’ensemble des personnes qui oeuvrent dans notre système d’éducation.

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