Le Journal de Quebec - Évasion
AVENTURES SUR LA BANQUISE
QUAQTAQ, Nunavik | Alors que le Twin-Otter décolle après la quatrième escale, j’observe avec émerveillement la beauté de ces étendues glacées. La baie d’Ungava, en ce mois de mai, se libère lentement de l’emprise des glaces. L’avion vole bruyamment à une altitude moyenne entre les nuages, me permettant ainsi d’observer les glaces. Mon oeil scrute avec attention la banquise… J’aimerais tellement voir un ours polaire !
Arrivé à Quaqtaq, ma destination finale, je me dirige vers l’aérogare, un petit bâtiment moderne avec des inscriptions en Inuktituk. Malgré le printemps, le paysage et la sensation sur ma peau me laissent surtout une impression hivernale. J’entre à l’intérieur et une famille inuite, les Kukula, m’accueille chaleureusement. Adami, mon guide, blague dès les premiers instants. Sans perdre un instant, nous passons chez lui déposer mes nombreuses valises. Je m’équipe en quelques minutes et me voilà prêt pour l’aventure. Il troque alors son « pick-up » pour sa motoneige munie d’un traîneau fait à la main.
Installé à genoux dans un confort précaire, m’agrippant ici et là, je négocie les soubresauts de la toundra qui surgissent sous la forme de lames de neige et qui me secouent sans arrêt. J’ai l’impression de faire du rodéo sur ce traîneau. Déjà, je ne vois plus le village. J’ai pris soin de prendre un point GPS avant de partir, ceci pour ma santé mentale. Maintenant, sur 360 degrés, je ne distingue rien d’autre que du blanc et du bleu. Le regard porte loin, très loin. Au passage d’un sommet de colline, Adami immobilise la motoneige et me regarde en souriant. « Regarde-moi cette vue ! C’est un vide qui remplit le regard, hein ! » Je dois avouer qu’il a raison. L’absence de repères sur des centaines de kilomètres bizarrement brouille l’esprit.
BAIE D’UNGAVA
Un peu plus loin, sur l’arrondi d’une nouvelle colline, un paysage se dévoile. La baie d’Ungava s’étire dans une mosaïque fragmentée de blanc et de bleu profond. Dans un horizon lointain, les icebergs descendent lentement vers le sud. Soudainement, Adami me crie par dessus les vrombissements de la motoneige : « Est-ce que tu as peur de l’eau ? » Cette parole est accompagnée d’un petit sourire moqueur. C’est alors que nous nous engageons sur la banquise. Nous traversons les premiers 150 mètres dans un dédale de blocs de glace de la taille d’une voiture. On arrive difficilement à se frayer un chemin jusqu’à la glace lisse dépourvue d’obstacles. Ou presque…
La motoneige se remet enfin à filer à une bonne vitesse. Adami me crie de m’accrocher. Il accélère davantage. C’est alors que je comprends qu’on va « sauter » des crevasses d’eau libre pour avancer de plaque de glace en plaque de glace ! Je serre les dents à chacune d’elle. La terre ferme est maintenant loin derrière nous, presque disparue à l’horizon. Adami souhaite rencontrer un ours polaire. À un certain moment, nous sommes sur la piste d’un ours adulte de bonne taille. Des nuages ont fait leur apparition et compliquent l’observation. Tout est blanc sur blanc et on cherche, devinez quoi ? Quelque chose de blanc. Le temps file et nous devons revenir vers Quaqtaq, à une soixantaine de kilomètres encore.
Adami suggère d’utiliser la banquise comme route de retour. Ce sera plus rapide. Et moi qui pensais en avoir fini avec cette anxiété qui me chatouille les entrailles depuis des heures. À l’approche de Quaqtaq, je commence à reconnaître certains reliefs. La motoneige bifurque soudainement vers les montagnes. On ne cesse de prendre de l’altitude. Le soleil nous enveloppe de nouveau d’une douce chaleur. Dans un rayon doré, nous arrivons au sommet. Adami arrête la motoneige et me dit : « À partir d’ici, nous allons continuer à pied. Je vais t’amener à mon endroit préféré de la baie de Diana. »
C’est à cet endroit qu’il vient se recueillir. C’est son lieu de méditation.
Assis côte à côte comme de vieux amis au sommet de la falaise, nous observons le soleil tomber sur la baie d’Ungava.
Adami me confie que pour ce genre de moment, il ne peut vivre ailleurs qu’à Quaqtaq : « Il y a juste ici qu’on voit aussi loin ».