Le Journal de Quebec - Évasion

AUX SOURCES DE LA TRADITION CHRÉTIENNE

La tradition associe surtout Noël à Bethléem, mais cette fête commence plutôt avec la redécouver­te à Jérusalem du Saint-Sépulcre (tombeau) et du Golgotha (la colline où le Christ a été crucifié).

- LOUIS-PHILIPPE MESSIER, Collaborat­ion spéciale

Lorsque l’empereur de Rome se convertit au christiani­sme au 4e siècle, il dépêche ses « archéologu­es » sous la supervisio­n de sa mère Hélène dans la ville sainte pour retrouver les lieux de la vie et de la passion de Jésus-Christ. La constructi­on d’une gigantesqu­e basilique du Saint-Sépulcre avoisine le choix du 25 décembre comme date pour la fête de la Nativité (qui prendra plus tard le nom de Noël). La basilique en impose par sa taille aux temples païens. L’anniversai­re du Christ prend possession du solstice d’hiver : la plus enviable des places du calendrier, associée depuis toujours aux réjouissan­ces, à la famille, aux cadeaux, etc. Enfin, la basilique du Saint-Sépulcre devient populaire à Noël parce que Bethléem n’est qu’à dix kilomètres de Jérusalem, soit environ la distance entre le mont Royal et le Stade olympique. L’affluence se partage entre ces lieux.

La basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem englobe le Golgotha, la colline de la crucifixio­n de Jésus, ainsi que le tombeau où, selon la tradition, le Christ ne s’éternisa guère. Six confession­s chrétienne­s se la partagent, non sans heurts, suivant un code établi par un sultan ottoman. Son toit abrite un village éthiopien de huttes de terre cuite. C’est un ancien temple à Vénus édifié par l’empereur Hadrien en l’an 135 par-dessus les chapelles primitives qui bornaient les lieux de la mort et de la résurrecti­on de Jésus-Christ. Certains apocryphes situent ici l’ancien jardin d’Éden, le lieu de la création d’Adam par Yahvé et celui de l’arbre de la connaissan­ce du bien et du mal, dont Ève croqua le fruit défendu. Saturé de sacralité pour le christiani­sme, ce lieu a bouleversé l’histoire du monde en justifiant le gigantesqu­e brassage des croisades et, avec l’Ordre du Temple qui finançait les rois et les pèlerins-soldats, en générant le premier système bancaire supranatio­nal.

CROISADES

Le Saint-Sépulcre est le lieu présumé du tombeau de Jésus-Christ donné à ses disciples par Joseph d’Arimathie non loin du lieu de sa crucifixio­n. Lorsque vers l’an 1000 un sultan quelque peu zélé fait détruire l’église du Saint-Sépulcre, la nouvelle met du temps à voyager. Environ cent ans plus tard, c’est la première croisade. Ce lieu a motivé la chrétienté à prendre les armes et à se rendre en masse jusqu’à Jérusalem. L’édifice actuel demeure grosso modo celui bâti par les Templiers, au 12e siècle. L’immense brassage culturel des croisades a permis à l’Europe de redécouvri­r ses racines gréco-romaines avec les philosophe­s grecs traduits en arabe comme Platon et Aristote ; un demi-millénaire plus tard, c’est la Renaissanc­e. Ces gigantesqu­es équipées ont aussi rapproché des peuples du Nord-Ouest qui se connaissai­ent mal et ébauché quelque chose comme une identité européenne. Par ailleurs, si vous descendez les vingt-neuf marches de l’escalier vers la chapelle de sainte Hélène et la grotte de la Vraie Croix, vous verrez les petites croix que chaque pèlerin gravait à même le roc à son arrivée en Terre sainte. Dites-vous que ces voyageurs portaient des « chèques de voyage » émis par l’Ordre du Temple, une organisati­on multinatio­nale plus puissante que bien des royaumes. Les fonds levés par les Templiers au nom du Saint-Sépulcre les changèrent en banquiers bientôt plus riches que les souverains. Donc, on présume qu’ils fêtaient Noël avec faste !

ÉCHELLE

Cette échelle de bois repose sur cette corniche depuis le 17e siècle. Personne ne sait à qui elle appartient. Comme rien ne peut être changé dans le Saint-Sépulcre sans l’accord unanime des six confession­s, normalemen­t incapables de s’entendre, le statu quo perdure… et l’échelle reste là, inutile. On la surnomme échelle inamovible, échelle du statu quo ou échelle de la discorde. Un pape a déjà dit qu’un jour, si toutes les confession­s chrétienne­s se réconcilia­ient, l’échelle serait enfin enlevée. Soyons sérieux : cela n’arrivera jamais. Les relations entre communauté­s sont tendues. Les anecdotes de batailles entre moines se tapant dessus à coups de cierges abondent.

CALVAIRE

Le mont du Crâne, aussi dit « Calvaire » ou « Golgotha », est contenu dans la basilique – escaladez l’escalier étroit et abrupt à votre droite en entrant. C’est là que, selon les évangiles, Jésus fut crucifié : on voit les trous aménagés à même le roc dans la montagne où l’on « plantait » les croix. L’itinéraire typique du touriste religieux comprend un « chemin de croix » sur la via Dolorosa dans Jérusalem avec les premières étapes dans la vieille ville et les dernières à l’intérieur de la basilique. Toute église catholique contient un chemin de croix ; eh bien, celui de la basilique du Saint-Sépulcre peut se targuer d’offrir en guise de station de la crucifixio­n le lieu réel (présumé) de celle-ci et mieux : le lieu de la résurrecti­on. Quelque peu méconnue par les catholique­s axés surtout vers Rome, la basilique du Saint-Sépulcre joue un rôle plus important dans la culture orthodoxe où, le Samedi saint précédant la Pâque orthodoxe, un « feu miraculeux » surgit sur le cierge du patriarche orthodoxe grec et se propage ensuite sur les cierges des milliers de pèlerins. Pendant cette contagion sacrée, certaines mèches s’allumeraie­nt spontanéme­nt, affirme-t-on. C’est le « miracle du feu sacré ».

CACOPHONIE

Les catholique­s, orthodoxes, arméniens, coptes (égyptienne), syriaques et éthiopiens se partagent la basilique et vivent dans diverses parties de celle-ci qui, pour cette raison, exhibe un syndrome de personnali­té multiple. Souvent, plusieurs messes de confession­s et de langues différente­s se déroulent en même temps et entraînent une cacophonie invraisemb­lable. Exemple : des catholique­s célèbrent une messe en français pendant qu’une chorale syriaque entonne à tue-tête des chants dramatique­s. Chacun fait sa petite affaire comme si l’autre n’était pas là. Cet enchevêtre­ment de cérémonies superposée­s donne le tournis.

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 ??  ?? Le parvis de la basilique du Saint-Sépulcre donne sur son flanc. Le reste du bâtiment gigantesqu­e est totalement enclavé dans la vieille Jésuralem.
Le parvis de la basilique du Saint-Sépulcre donne sur son flanc. Le reste du bâtiment gigantesqu­e est totalement enclavé dans la vieille Jésuralem.
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La rotonde de la basilique au-dessusde l’édicule du Saint-Sépulcre.
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Les pèlerins gravaient de petites croix dans les murs pour dire : « Je suis arrivé à Jérusalem ».
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Personne n’a le droit de toucher à cette échelle qui reste là à ne rien faire sur la façade du Saint-Sépulcrepa­rce que les confession­s chrétienne­s sont incapables­de s’entendre.

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