Le Journal de Quebec - Weekend
Quand les frites chantent…
En Belgique, les frites relèvent de l’art. Le commerce spécialisé, qui peut être une simple baraque, une construction en dur ou une roulotte à frites, a pour nom «friterie» ou « friture ». Et l’artisan s’appelle « frituriste ».
UNE INVENTION BELGE
Que tout le monde – à commencer par les Français – se le tienne pour dit : la frite est une invention belge. La frite serait apparue dans les alentours de Namur vers 1680.
Les habitants de cette région avaient pour coutume de faire frire le menu fretin qu’ils pêchaient dans la rivière. Une année, l’hiver fut très rigoureux au point de faire geler l’eau de la rivière. À défaut d’avoir pu pêcher, quelqu’un eut l’idée de faire frire des morceaux de pomme de terre auxquels il avait donné la forme de petits poissons. Cela pourrait bien relever de la légende, mais des textes en attestent bel et bien.
La friture constitue à présent un domaine économique à elle seule, qui réalise un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros. On compte en effet 5 000 fritures à travers le pays.
Car, ici, les frites, c’est du sérieux. L’Union nationale des frituristes (UNAFRI) s’occupe de défendre les intérêts de ses membres et l’image des vraies frites belges, qui relèvent quasiment du patrimoine national.
L’UNAFRI a d’ailleurs créé à travers le pays cinq centres de formation qui, en dispensant des cours du soir, forment annuellement 150 frituristes.
Afin de défendre la tradition, se déroule chaque année dans le pays la Semaine de la frite (fin novembre-début décembre). Est alors établi le classement des dix meilleures fritures. Est également consacré chevalier de l’Ordre du cornet d’or un frituriste méritant.
L’ART DE LA FRITE
Mais quel est finalement le secret de la frite belge ? J’ai posé la question à chacun des frituristes réputés auxquels j’ai rendu visite en compagnie de Florence, la meilleure des guides qui soient en la matière. « Fana des frites », comme elle se décrit elle-même, régulièrement en compagnie d’amis elle fait la tournée des fritures de Bruxelles pour tester le produit. La variété de pommes de terre est déterminante, affirment tous les frituristes consultés. Une seule variété convient, c’est la bintje, parce que, dit-on, « elle s’attendrit à l’intérieur et se pare à l’extérieur d’un brun croustillant ».
Ensuite, on n’utilise que du gras de boeuf (contrairement à toute huile végétale) pour effectuer une double cuisson. La première cuisson ou pochage dure de 7 à 8 minutes à une température variant de 130 à 160 degrés Celsius (selon le stade de maturation de la pomme de terre). La seconde cuisson s’effectue à 180 degrés et dure de 2 à 3 minutes.
Le frituriste sait que la cuisson est à point quand « la frite chante ». C’est l’expression consacrée pour désigner le moment où « l’enveloppe de la frite devient croustillante et les frites frémissent les unes contre les autres ».
DES FRITURES
La recette paraît simple, pourtant, d’une friterie à l’autre, le résultat est toujours différent. Nous avons, dans la même journée, testé trois adresses figurant parmi les meilleures de Bruxelles.
À midi, nous étions à la Maison Antoine, une sorte d’institution, place Jourdan, dans le quartier Etterbeek. Fondée en 1948, cette friterie familiale est tenue par la troisième génération. Des vedettes internationales de passage à Bruxelles vont y commander leur cornet de frites. Pour agrémenter les frites, on a le choix d’une vingtaine de sortes de sauces.
À l’heure du lunch, la file s’allonge. Jeunes et moins jeunes, gens d’affaires, eurocrates et touristes se mêlent. Les uns s’installent sur les bancs du parc, les autres choisissent l’un ou l’autre des bistrots des alentours qui, ne servant pas de nourriture, s’affichent comme « partenaire de Maison Antoine ».
Frit’ Flagey, sur la place du même nom, dans le quartier Ixelles, est très modeste puisque n’y travaillent que deux personnes. Auparavant, ce commerce était une friterie ambulante renommée. Le secret du patron : « Quand on fait son métier avec passion, ça ne peut être que bon », dit-il.
La Friterie de la Barrière, dans le quartier Saint-Gilles, tourne le dos à l’avenue du Parc où elle est située. C’est un survivant parmi les baraques à frites qui s’étaient jadis multipliées à travers la ville.
Les autorités trouvant que ces baraques à frites déparaient la capitale de l’Europe ont amené un grand nombre à fermer ou se transformer. La Friterie de la Barrière, elle, résiste, pour le plus grand bonheur des consommateurs.