Le Journal de Quebec - Weekend
VERTIGE TECHNOLOGIQUE
Dans un océan d’images
Un documentaire de Helen Doyle.
Le titre de cette critique n’est pas de moi. L’expression est utilisée par Alfredo Jaar, un artiste, architecte, et réalisateur chilien qui vit aujourd’hui à New York.
Abondamment interviewé par la cinéaste Helen Doyle — fondatrice de Vidéo Femmes et réalisatrice de nombreux documentaires sur les femmes tels Soupirs d’âme ou Bir
lyant, une histoire tchétchène —, Alfredo Jaar parle d’un «aveuglement» par l’image. Car les chiffres sont frappants et effrayants à la fois.
On voit environ 4000 images par jour, et ce ne sont pas que des publicités pour nous vendre quelque chose. Images de nous, de nos amis, de notre famille, du monde qui nous entoure, des coins les plus reculés de la planète. Sachant qu’il s’est vendu 1,8 milliard de téléphones cellulaires l’an dernier, des analystes estiment qu’il s’est ainsi pris pas moins d’un trillion de photos (c'està-dire 1000 milliards de clichés).
QUESTIONNEMENT
Ce fameux «vertige technologique» engendre donc de multiples questions sur ce que l’on voit, sur la manière d’interpréter les images dans ce bombardement.
Le sujet s’élargit ensuite pour toucher les professionnels de l’image, et je ne parle pas ici des mannequins ni des vedettes! Photographes de guerre, photoreporters, etc., ils s’interrogent sur leur profession ainsi que sur les limitations de leur médium.
Stanley Greene — ses photographies sur la Tchétchénie sont inoubliables — raconte comment l’explosion d’une voiture dont il a été témoin a pris un tout autre sens pour lui quand il a ensuite vu les clichés qui avaient été faits par les passants. Son constat? «C’est peut-être génial, le journalisme citoyen, mais il n’y a pas de processus de vérification.»
ENTRE VOYEUR ET TÉMOIN
Et quelle est la responsabilité du photographe, qui court au milieu des corps enchevêtrés pour prendre le cliché ultime? D’une guerre à l’autre… direction les plages de Normandie avec les vestiges du débarquement, le Timor oriental, l’Irak, l’Afghanistan. C’est d’ailleurs dans ce dernier pays que la seule femme policière — qu’on voit portant Burqa, vernis à ongles et pistolet — a été tuée en 2008.
Aider les pauvres? Les délaissés pour compte? Ai-je agi de manière non éthique en tant que journaliste? Le fais-je pour la gloire? Pour moi? Pour eux?
Difficile de faire la part des choses entre voyeur et témoin, et c’est cette frontière morale que visite Helen Doyle, sans jamais apporter de réponse.