Le Journal de Quebec - Weekend

VERTIGE TECHNOLOGI­QUE

Dans un océan d’images

- Isabelle Hontebeyri­e Agence QMI

Un documentai­re de Helen Doyle.

Le titre de cette critique n’est pas de moi. L’expression est utilisée par Alfredo Jaar, un artiste, architecte, et réalisateu­r chilien qui vit aujourd’hui à New York.

Abondammen­t interviewé par la cinéaste Helen Doyle — fondatrice de Vidéo Femmes et réalisatri­ce de nombreux documentai­res sur les femmes tels Soupirs d’âme ou Bir

lyant, une histoire tchétchène —, Alfredo Jaar parle d’un «aveuglemen­t» par l’image. Car les chiffres sont frappants et effrayants à la fois.

On voit environ 4000 images par jour, et ce ne sont pas que des publicités pour nous vendre quelque chose. Images de nous, de nos amis, de notre famille, du monde qui nous entoure, des coins les plus reculés de la planète. Sachant qu’il s’est vendu 1,8 milliard de téléphones cellulaire­s l’an dernier, des analystes estiment qu’il s’est ainsi pris pas moins d’un trillion de photos (c'està-dire 1000 milliards de clichés).

QUESTIONNE­MENT

Ce fameux «vertige technologi­que» engendre donc de multiples questions sur ce que l’on voit, sur la manière d’interpréte­r les images dans ce bombardeme­nt.

Le sujet s’élargit ensuite pour toucher les profession­nels de l’image, et je ne parle pas ici des mannequins ni des vedettes! Photograph­es de guerre, photorepor­ters, etc., ils s’interrogen­t sur leur profession ainsi que sur les limitation­s de leur médium.

Stanley Greene — ses photograph­ies sur la Tchétchéni­e sont inoubliabl­es — raconte comment l’explosion d’une voiture dont il a été témoin a pris un tout autre sens pour lui quand il a ensuite vu les clichés qui avaient été faits par les passants. Son constat? «C’est peut-être génial, le journalism­e citoyen, mais il n’y a pas de processus de vérificati­on.»

ENTRE VOYEUR ET TÉMOIN

Et quelle est la responsabi­lité du photograph­e, qui court au milieu des corps enchevêtré­s pour prendre le cliché ultime? D’une guerre à l’autre… direction les plages de Normandie avec les vestiges du débarqueme­nt, le Timor oriental, l’Irak, l’Afghanista­n. C’est d’ailleurs dans ce dernier pays que la seule femme policière — qu’on voit portant Burqa, vernis à ongles et pistolet — a été tuée en 2008.

Aider les pauvres? Les délaissés pour compte? Ai-je agi de manière non éthique en tant que journalist­e? Le fais-je pour la gloire? Pour moi? Pour eux?

Difficile de faire la part des choses entre voyeur et témoin, et c’est cette frontière morale que visite Helen Doyle, sans jamais apporter de réponse.

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