Le Journal de Quebec - Weekend
Netflix a le doigt dans l’engrenage
Loin de calmer leur appétit, la multiplication des plateformes et, surtout, la possibilité de regarder en rafale les séries dramatiques, rendent les téléphages de plus en plus insatiables. En décidant, il y a près de deux ans, de produire une série originale, Netflix a ouvert une porte qu’elle ne pourra plus jamais refermer.
Malgré un catalogue presque illimité – surtout aux États-Unis – Netflix a constaté que la courbe de croissance de ses abonnés finirait par ralentir si on n’avait pas de contenu original à leur proposer. C’est donc une sorte de test que constituait House of Cards, une adaptation très libre de la minisérie britannique du même titre. La série de Beau Willmon avec Kevin Spacey en vedette a fait un tel tabac qu’une suite de 13 épisodes est déjà en production pour diffusion l’an prochain.
CHAUDE LUTTE AUX EMMYS
Même si elle a été visionnée uniquement en «streaming», House of Cards a livré une chaude lutte à Breaking Bad, de AMC, dans la catégorie de la meilleure série dramatique au gala des trophées Emmy. En nomination dans huit autres catégories, House of Cards en a remporté trois: meilleure réalisation, meilleure cinématographie et meilleure distribution. Deux autres séries de Netflix, Arrested Development et Hemlock Grove, ont mérité des nominations dans cinq catégories.
Cette percée fulgurante dans un monde jusque-là réservé aux diffuseurs traditionnels et spécialisés est une vraie révolution. Elle change toute la donne, puisque l’Internet n’est plus réservé à des capsules ou de brefs épisodes comme Les têtes à claque, Les voisins du dessus ou Temps mort, mais à d’authentiques séries dramatiques originales comme on a l’habitude d’en voir à la télévision.
LES CÂBLOS ONT VU LE DANGER
Lorsque Netflix est apparu, aucun diffuseur n’a paniqué. Quant aux câblos et les satellites, ils ont tout de suite perçu le danger. Leurs abonnés allaient-ils couper un service du câble ou du satellite qui leur assurait jusque-là une transmission parfaite des postes hertziens qu’ils captaient mal ou pas du tout?
Plusieurs Canadiens ont abandonné les «bouquets» de chaînes que leur offrent les distributeurs, en particulier dans les zones où les ondes hertziennes transmettent des images de qualité, mais c’est loin d’être l’hécatombe. Pour le moment en tout cas. D’autant plus que la crise économique nous a affectés moins que nos voisins du sud. La majorité des abonnés canadiens ont conservé les bouquets de télé qu’ils avaient déjà, faisant de Netflix un service complémentaire.
Dans l’espoir de mieux contrer Netflix, les diffuseurs de télé ont bonifié leur offre et les télévisions sur demande aussi. Radio-Canada a créé toutv et Vidéotron, Illico. On a aussi lancé le Club Illico à vo- lonté donnant accès à un catalogue intéressant de films, de séries, de documentaires et d’émissions jeunesse. Leur contenu est entièrement francophone. L’inventaire des uns et des autres n’a pas la profondeur de celui de Netflix, encore que le catalogue accessible aux Canadiens soit loin de l’abondance de celui offert aux Américains.
Malgré les riches archives de Netflix, les abonnés en veulent davantage. Durant le premier semestre, Netflix a ajouté 1,2 millions d’abonnés, mais on en espérait davantage. Pour le 3e trimestre se terminant à la fin de septembre, l’objectif est d’en ajouter 1,5 million. Nous saurons dans quelques semaines si les succès remportés au gala des trophée Emmy permettront de l’atteindre.
VINGT SÉRIES L’AN PROCHAIN
Avec bientôt près de 40 millions d’abonnés, Netflix a les moyens de produire plusieurs séries dramatiques originales. En 2014, on compte en lancer une vingtaine. Dans deux ans, Netflix aura les droits de «streaming» des nouvelles productions et du catalogue de Disney.
Les concurrents de Netflix n’ont pas l’intention de se laisser manger la laine sur le dos. Imitant Netflix, les distributeurs de vidéo sur demande vont désormais se bâtir des inventaires. Comcast, le plus important câblo des USA, achèterait le catalogue de la 21st Century Fox, qui a vendu à Netflix les deux premières saisons de sa comédie New Girl. Malgré son entente avec Netflix, même Disney, selon ce qu’a déclaré, lundi, son pdg Bob Iger, est d’accord pour continuer de vendre ses productions originales à d’autres distributeurs de vidéo sur demande.
Pendant ce temps, Virgin Media, le plus grand distributeur britannique de télévision sur demande, offre Netflix à ses abonnés. Virgin ouvre la porte de la bergerie au loup.
Le contenu de télévision se mondialise un peu plus chaque jour en devenant accessible à des auditoires toujours plus nombreux, mais toujours plus fragmentés. Dans ce contexte de coupe-gorge et de transformation constante où se situera notre modeste télévision dans 10 ans? Souvent, je préfère ne pas y penser…