Le Journal de Quebec - Weekend
André Chagnon, un vrai visionnaire
L’obsession de l’interactivité et d’un deuxième écran n’est pas née avec l’ère numérique. Peu de temps après la création de Vidéotron en 1964, mon vieil ami André Chagnon, fondateur de la compagnie, était déjà convaincu que son câble offrirait bientôt d’autres possibilités que celle trop simple de retransmettre dans les foyers des images plus nettes des réseaux de télé. En 1989, son Videoway, le premier système de divertissement télévisuel en Amérique, paraissait bien révolutionnaire.
Avec un Videoway branché à ma télé, je pouvais débrouiller les canaux spécialisés, m’amuser avec des jeux d’adresse ou de société, louer des films, connaître les dernières nouvelles, les conditions de météo, les fluctuations de la bourse et apprendre si j’avais gagné à la loto.
Je pouvais même, ô joie suprême, voir mon hockey de quatre angles différents et même reculer de dix secondes dans le temps. J’ai même proposé à l’époque des dénouements à L’or du temps!
LE SAGUENAY BRANCHÉ
Au Saguenay, Vidéotron est allée encore plus loin. Avec la collaboration d’HydroQuébec et d’autres partenaires, Vidéotron a commencé à implanter en 1996 le système UBI, une vraie autoroute de l’information. Chaque terminal – on devait en installer 30 000 – donnait accès à une foule de services comme le paiement des comptes, la messagerie électronique, les achats, la vidéo sur demande, les films, etc.
L’arrivée subite du numérique a rendu le Videoway et UBI obsolètes, mais elle n’a pas calmé l’obsession de l’interactivité et du deuxième écran. Bien au contraire. Sans qu’ils puissent le mesurer de façon certaine, tous les diffuseurs sont maintenant convaincus que l’interactivité et un deuxième écran (et bientôt un troisième et un quatrième…) contribuent à gonfler les cotes d’écoute et à retenir les téléspectateurs captifs.
Quel que soit le genre d’émission, tous les producteurs se creusent la tête pour trouver une façon originale d’interagir avec les téléspectateurs. Compte tenu de leurs millions d’abonnés, on privilégie d’abord Twitter et Facebook. Lundi dernier à NBC (en simultané au réseau Global), j’ai regardé le deuxième épisode d’une nouvelle série dramatique américaine intitulée The Blacklist.
INTERROGATOIRE AMUSANT
La série mettant en vedette Megan Boone et Diego Klattenhoff en agents du FBI ainsi que James Spader, qui joue le rôle d’un délateur n’en continuant pas moins ses activités subversives, ne casse rien, mais on a trouvé une façon très originale de faire connaître l’émission par le truchement de Facebook et Twitter.
En allant sur le site «AreYouOnTheBlacklist.com», deux des vedettes de la série vous interrogent afin de savoir si vous et certains de vos proches ne seriez pas acoquinés à des criminels que le FBI recherche. On vous rassure en disant que vous n’êtes pas personnellement soupçonné, mais on vous prie instamment de dévoiler qui de vos connaissances pourrait l’être.
Dans l’espoir de vous délier la langue et d’en apprendre davantage, Elizabeth Keen, l’agente jouée par Megan Boone, montre des photos de vos proches et de vos amis, tirées de votre compte Facebook. Quand votre interrogatoire est terminé, vous pouvez le partager avec vos abonnés de Twitter et Facebook!
LES «PATATES DE SOFA»
Il reste des millions de couch potatoes qui ne veulent rien savoir de ces à-côtés numériques. Pour eux, la télévision est un divertissement pépère qui ne doit demander aucun effort. À la limite, ils demeurent scotchés des heures entières au même réseau. La télécommande leur semble même un objet juste bon à mettre la discorde dans le couple! Tous ceux qui sont nés avec un ordinateur devant les yeux, qui ne sauraient se priver de leur téléphone intelligent et de leur tablette électronique, en attendent bien davantage de la télévision.
Ils souhaitent qu’elle prolonge leur expérience ou leur plaisir par des sites Web et des jeux, qu’elle leur permette d’agir sur le déroulement d’une émission, qu’elle les invite à s’immiscer dans une téléréalité, à adouber certains concurrents et à en éliminer d’autres, qu’elle leur donne l’occasion d’entrer en contact avec des spectateurs qui regardent en même temps la même émission, qu’elle leur fasse connaître plus intimement les personnages d’une série et les acteurs qui les personnifient et, plaisir ultime, qu’ils puissent à l’occasion jouer au réalisateur.
Dorénavant, en plus d’avoir besoin d’auteurs, d’acteurs et d’artisans, les diffuseurs et les producteurs doivent faire appel à des spécialistes capables d’imaginer des prolongements de leur émission sur le Web, de trouver des applications originales pouvant promouvoir leurs séries, d’inventer comme on l’a fait pour The Blacklist une façon amusante d’utiliser les réseaux sociaux. Mon ami Chagnon voyait loin et je ne serais pas surpris qu’il ait à l’époque imaginer tout ça. Il en était bien ca
pable.