Le Journal de Quebec - Weekend
Francs-tireurs un jour, Francs-tireurs toujours
Seize saisons. Les Francs-tireurs jouit d’une rare longévité qui était somme toute difficile à prédire. D’une part, l’émission persiste en offrant de longues entrevues alors que la tendance est au speed interviewing. D’autre part, elle a su garder son ton
Chacun à leur manière, dans les médias qui les accueillent, avec leur style, leurs convictions, ils prennent position, s’enflamment, poussent leurs invités à faire leurs devoirs par des questions sans détour dans une société qui a plus que jamais besoin de garde-fous.
Richard Martineau tient le phare depuis les débuts. Il est encore ému du Gémeaux gagné il y deux semaines. «C’est parfois lourd d’être toujours associé au débat. C’est très rare que des gens te disent qu’ils t’aiment. J’ai dû me faire une carapace.»
Benoît Dutrizac, membre fondateur, y revient après avoir laissé son siège pendant huit ans à Patrick Lagacé. L’animateur avait été congédié. Les raisons sont restées nébuleuses. «Ç’a été un moment difficile au plan personnel, avoue-t-il, mais en même temps ça m’a libéré. J’avais de la misère avec la lourdeur de la télé. Mais la radio me permet d’être au coeur de l’actualité quotidienne. Là j’ai le combo-parfait. C’est pour ça que je suis revenu. Pour faire du terrain, sortir du studio. Être dans le monde te rappelle que t’as pas toujours raison.»
EN DEUX TEMPS
En évoquant le passé et ce qu’ils sont devenus en tant qu’animateurs, tous deux s’exclament avoir vieilli. «Ça va avoir l’air quétaine, mais j’ai trouvé ma voix, avoue Dutrizac. À l’époque, j’étais reconnu parce que je sacrais en ondes pour des sujets qui me tenaient à coeur. J’ai appris à calibrer. J’ai établi ma propre frontière. Je ne vais jamais dans la diffamation, jamais dans la vie privée. J’ai un code d’éthique et je laisse les gens répondre. Comme Hunter Thompson ou Mike Wallace que j’admirais, j’espère poser les questions qu’on veut entendre sans jamais aller dans la persécution.»
«J’étais un jeune coq, se rappelle Martineau. J’étais plus intéressé par les ques- tions que je posais que par les réponses. Là, j’aime entendre ce que les gens ont à me dire. J’aime donner la parole à des gens que j’admire. Nos invités sont généreux. Venir chez nous peut s’avérer un challenge. J’avais sous-estimé leur besoin de se faire brasser un peu. On est dans une société consensuelle alors que dans la vie, on n’a pas peur de se chicaner.»
SORTIR DE SA ZONE
«Grâce aux Francs-Tireurs, je suis aussi confronté à des sous-cultures. Récemment, en Europe, j’ai rencontré les Femen (militantes aux seins nus pour les droits des femmes notamment), c’est tout un monde. T’as souvent tendance à être avec des gens qui te ressemblent. Mais sortir de ma zone de confort nourrit mes réflexions, m’empêche de rouiller, me donne du jus aussi pour mes textes.»
«J’ai fait de la tauromachie! s’exclame Dutrizac. Un jeune taureau m’a chargé! Je suis sorti avec mes castagnettes dans les mains, rigole-t-il. Mais il y a tellement de bonnes entrevues qui s’en viennent. Nadine Trintignant qu’on a peu entendue depuis le décès de sa fille (l’actrice Marie Trintignant est décédée des suites de violence conjugale. Bertrand Cantat était son conjoint.), Marc Trévidic (juge anti-terroriste). Y a plein de bonnes choses qui s’en viennent que je ne peux pas dire.»
Les Francs-Tireurs propose toujours des mises en contexte tournées avec humour, l’ironie permettant de faire passer quelques messages. Et sachez que les animateurs n’assistent jamais au montage de leurs entrevues. «Nos réalisateurs protègent nos invités, confirme Martineau. Et non nous.»
FANTASMES
Plusieurs invités refusent toujours de s’asseoir auprès d’un franc-tireur. Richard Martineau regrette que Plume Latraverse, un monument de notre culture, n’accepte aucune entrevue. Chaque saison, des démarches sont entreprises auprès de Brigitte Bardot, un personnage hors du commun, une femme libre et controversée. Sans succès.
Benoît Dutrizac déplore notamment que l’ex-premier ministre Jean Charest se terre dans un mutisme et que Daniel Johnson n’ait pas envie de discuter de l’emplacement du CHUM ou des viaducs. «Les gens pensent qu’on veut leur faire leur procès. Les entrevues se font dans le respect. Mais du monde payé avec l’argent des contribuables est tenu de répondre aux questions des payeurs de taxes.»
Les Francs-Tireurs, mercredi 21 h, à Télé-Québec.