Le Journal de Quebec - Weekend

Des films québécois ou des films canadiens ?

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Sans que personne ne s’en formalise, les films que nous produisons au Québec, comme Mommy ou Henri Henri, par exemple, semblent avoir deux nationalit­és. Chez nous, on les présente comme des films québécois, des «pures laines» pourrait-on dire. En France, ils ont une double nationalit­é: québécois ou canadien, selon qui les présente. Règle générale, dans les festivals, nos films sont canadiens. Lorsqu’ils voyagent aux États-Unis, leur label québécois disparaît. Ils deviennent canadiens tout court.

C’est ainsi que Mommy a été choisi pour représente­r le Canada dans la catégorie du meilleur film étranger. Si les bonzes de l’Académie du Cinéma le sélectionn­ent pour la finale et s’il gagne, c’est un film «canadien» qui remportera en 2015 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, succédant ainsi aux Invasions barbares.

COMME NOS ATHLÈTES

Nos films sont un peu comme nos athlètes. Quand ils participen­t à des compétitio­ns mineures, ils sont québécois, mais aux Olympiques ou dans les compétitio­ns de coupe du monde, ils deviennent canadiens. Ils portent le costume à feuilles d’érable, ils s’enveloppen­t du drapeau canadien et s’ils gagnent une médaille d’or, c’est l’hymne Ô Canada qu’on joue.

La population actuelle est de 36 millions de Canadiens dont 7 750 000 sont de langue maternelle française, soit environ 21 % de la population. À moins d’un improbable virage, nous compterons bientôt pour un cinquième seulement de la population totale. Malgré ce pourcentag­e déclinant, dieu merci! Téléfilm Canada consacre toujours un tiers et plus de son budget aux films «québécois». Même chose pour le Fonds des médias du Canada, dont le tiers du budget est attribué aux producteur­s francophon­es. À Radio-Canada, c’est un peu plus du tiers du budget qui est alloué au réseau français et aux chaînes spécialisé­es francophon­es du diffuseur.

UN GOUVERNEME­NT MAL AIMÉ

En général, le gouverneme­nt fédéral n’a pas la cote chez nos artistes. Ils lui prêtent mille et une mauvaises intentions et le traitent souvent de fossoyeur de la culture fran- cophone. Il n’en reste pas moins que les sommes qu’Ottawa attribue à la culture francophon­e sont bien supérieure­s à ce qu’elles seraient si on faisait le partage selon les ratios de la population. Si on se mettait à partager selon de stricts critères démocratiq­ues, on perdrait joliment au change. Les gouverneme­nts ne sont pas tous aussi conciliant­s.

UN FILM PALESTINIE­N?

La jeune réalisatri­ce Suha Arraf est arabe, née en Palestine et citoyenne d’Israël. En septembre, elle a présenté à Toronto son premier long métrage, Villa Touma, une comédie dramatique qui met en vedette trois soeurs palestinie­nnes d’allégeance chrétienne qui ont sombré dans une pauvreté plutôt romantique. Leur monde change du tout au tout lorsqu’elles décident de donner asile à Badia, une nièce de 18 ans qui est orpheline. Si le film joue sur un écran près de chez vous ou si vous pouvez le visionner à l’une ou l’autre des vidéos à demande, je vous conseille plutôt de voir ou commander autre chose. Il n’y a rien dans Villa Touma qui vaille le détour. Le film n’en fait pas moins controvers­e. Pas à cause de son contenu, mais à cause de son financemen­t. Sa présentati­on au festival de Venise, en août, a mis le feu aux poudres. À la Mostra, le film de Suha Arraf était «palestinie­n». C’est vrai qu’il est aussi palestinie­n que Camping sauvage est québécois: l’action se déroule à Ramallah, les actrices sont d’origine palestinie­nne comme la moitié des technicien­s. L’autre moitié de l’équipe est d’origine israélienn­e.

PAS CONTENTE, LA MINISTRE

Le hic, c’est que le film a été financé par Israël. Suha Arraf a d’abord reçu 168 000$ du ministère israélien de l’Économie, un octroi de 33 000$ de la Loterie d’Israël, l’équivalent de Loterie Canada, et 370 000$ du Fonds de cinéma d’Israël, l’équivalent de Téléfilm.

Même si le film a été présenté à Toronto et ensuite à Londres comme «apatride» — il n’était ni israélien ni palestinie­n —, le ministre de l’Économie d’Israël n’a pas oublié le festival de Venise. Pas contente du tout, la ministre a ordonné que Suha Arraf retourne l’argent que son ministère a investi dans son film. Seule consolatio­n: on lui permet de rembourser les 168 000$ par versements sur une période à négocier.

Le Fonds du cinéma veut aussi ravoir son argent et la Loterie d’Israël entend récupérer son octroi. Inutile de dire que la pauvre réalisatri­ce n’est pas au bout de ses peines et que ce premier long métrage risque aussi d’être son dernier. En Israël du moins.

Je préfère ne pas imaginer la réaction de nos cinéastes s’il fallait que Téléfilm et la ministre du Patrimoine aient la même intransige­ance que leurs homologues d’Israël!

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Une scène du film apatride Villa Touma, de la réalisatri­ce Suha Arraf.

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