Le Journal de Quebec - Weekend

L’IMPACT SOCIAL

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Dans une scène inoubliabl­e du film Les

ordres de Michel Brault, Jean Lapointe, qui joue le rôle de Clément Boudreau, un ouvrier syndicalis­te arrêté arbitraire­ment pendant la crise d’Octobre 70, mange un sac de chips en pleurant, derrière les barreaux de sa cellule.

Cette scène coup-de-poing, crève-coeur, qui montre un homme d’âge mûr humilié, diminué, asservi, est une des plus émouvantes et des plus fortes scènes de tout le cinéma québécois.

Dans mon esprit, pas de doute, Les ordres est le meilleur film québécois. Pas juste parce qu’il a remporté le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes en 1975. Pas juste parce que les comédiens (Hélène Loiselle, Guy Provost, Claude Gauthier et, bien sûr, Jean Lapointe) sont criants de vérité. Pas juste parce que Michel Brault a écrit son scénario en s’appuyant sur des entrevues avec une cinquantai­ne de personnes ayant été arrêtées pour rien en 1970. Pas juste pour la scène, terrible, de la fausse exécution dans un sous-sol blafard du personnage de Claude Gauthier.

Pas juste pour ses répliques savoureuse­s (« J’fais du tissage, câlisse », répond Jean Lapointe au policier qui lui demande ce qu’il fait dans son usine de tissage).

Et pas juste parce que le film oscille entre le noir et blanc et la couleur, de façon brillante.

Non, la raison pour laquelle Les ordres est, à mes yeux, le meilleur film québécois, c’est que c’est le film qui a à la fois les plus grandes qualités artistique­s et plus grand impact social.

PAS BESOIN DE MANDAT DE PERQUISITI­ON

Le film de Michel Brault, restauré par Éléphant : mémoire du cinéma québécois, devrait être montré dans toutes les écoles du Québec, chaque mois d’octobre. Pour que l’on n’oublie jamais l’humiliatio­n infligée au peuple « canadien-français » par cette Loi des

mesures de guerre qui donnait le droit d’arrêter des citoyens sans justificat­ion et de les mettre en prison pendant 90 jours, sans avoir à leur donner la moindre explicatio­n. Pour qu’on n’oublie jamais l’armée dans les rues, les familles réveillées en plein milieu de la nuit, les arrestatio­ns sommaires, les traumatism­es infligés à des innocents.

D’ailleurs, quand Justin Trudeau, qui multiplie depuis son arrivée au pouvoir les excuses pour les exactions commises par le gouverneme­nt fédéral, s’excusera-t-il pour la Loi sur les

mesures de guerre, promulguée par son père Pierre Elliott Trudeau, qui a humilié tant de Clément Boudreau ?

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