Le Journal de Quebec - Weekend
LA VENGEANCE D’UNE EXILÉE
Deux fois récompensé par le prix Goncourt, l’écrivain français Laurent Gaudé raconte, dans son nouveau roman, Salina, l’histoire légendaire d’une mère de trois fils, femme aux trois exils. Renouant avec le style mythique de La
mort du roi Tsongor, il a imaginé la vie d’une héroïne puissante et sauvage, maintes fois rejetée, qui décide que la vengeance est sa mission.
Laurent Gaudé, en entrevue, révèle que ce roman intense, mystérieux et fascinant est né d’une photo qu’il avait trouvée il y a longtemps. « C’était une photo sur les Touaregs du désert, notamment celle d’un homme qui avait mis un costume traditionnel pour une cérémonie, et qui portait le fer traditionnel takouba. Il était très beau, très énigmatique. C’est par cette silhouette que je suis rentré dans mon histoire. »
Il y a 12 ans, il a d’abord écrit la pièce de théâtre Salina. « Ce personnage a continué à m’habiter, au lieu de s’éloigner avec le temps. J’ai réfléchi à la possibilité de la prolonger, de continuer à raconter ce qu’elle est », précise-t-il.
En lisant, on essaie de situer où est cadré son roman. Quelque part au Sahel? « Pour être honnête, j’ai plutôt abordé le roman comme ce que j’avais pour mon deuxième roman, La mort du roi Tsongor. C’était plutôt le plaisir d’imaginer un univers et, pour le faire, je vais prendre à droite, à gauche, des choses qui existent dans des civilisations différentes ou à des géographies différentes. Cette photo était très saharienne, mais je tiens beaucoup à ce que l’univers ne soit pas trop fixé. »
CYCLE DE LA VIOLENCE
Laurent Gaudé souhaitait aborder le thème de la vengeance en racontant l’histoire de Salina, et expliquer comment elle était entrée dans un cycle de violence.
« Elle a été maltraitée par la vie et par les hommes. Du coup, il y a beaucoup de colère en elle. Ça l’a fait rentrer dans le désir de vengeance – à partir de là, la guerre éclate entre elle et les Djimba. Comment vont-ils réussir à sortir de cette vengeance qui tue les hommes les uns après les autres? »
Salina est une étrangère, dès sa naissance. On ne saura jamais d’où elle venait. « J’essaie de faire résonner cette histoire qui peut paraître très lointaine, avec des thématiques qui ont à voir avec le monde d’aujourd’hui, en tous cas en Europe. »
LA FÉMINITÉ
L’auteur aborde aussi la question de la féminité avec beaucoup de délicatesse et de respect. « L’histoire de Salina débute le jour de ses premières règles. Ça a fixé un certain nombre d’enjeux : le rapport à son propre corps, le rapport au fait que ce qui devrait être normal pour une femme est immédiatement, pour elle, une violence: le risque de la prédation du monde des hommes et du monde qui l’entoure. »
Laurent Gaudé explique que l’écriture du roman s’est faite à la fois en référence à la pièce de théâtre Salina, et avec la nécessité de s’en écarter. « Je ne voulais pas refaire la même histoire. Il n’y a pas, dans la pièce, tout ce qui a trait à Malaka, à la recherche du cimetière. L’écriture du roman s’est faite en écho avec la pièce, et en recherche d’ouvrir les territoires d’écriture un peu nouveaux. Je ne l’avais encore jamais fait. » Laurent Gaudé est romancier, nouvelliste et dramaturge. Son oeuvre est traduite dans le monde entier. Il a écrit La mort du roi Tsongor, prix Goncourt des lycéens en 2002 et Le
soleil des Scorta, prix Goncourt en 2004 et prix Jean-Giono. Il a des projets de théâtre à Montréal.