Le Journal de Quebec - Weekend

L’AFRIQUE D’ERIC-EMMANUEL SCHMITT

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Poursuivan­t son Cycle de l’invisible, qui permet de rencontrer des spirituali­tés différente­s, l’écrivain franco-belge Eric-Emmanuel Schmitt nous propose un étonnant huitième volet avec Félix et la source invisible.

Il y a plus de 20 ans déjà qu’EricEmmanu­el Schmitt a entamé son Cycle de l’invisible. Un Cycle qui n’est certes pas passé inaperçu, plusieurs des livres qui le composent – Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la Dame

rose, etc. – ayant notamment été portés au grand écran ou adaptés au théâtre.

« Ce Cycle rassemblan­t des textes pouvant être lus séparément m’est venu à l’esprit après avoir écrit Milarepa, à l’issue d’un grand entretien sur la radio culturelle suisse, explique Eric-Emmanuel Schmitt, qu’on a pu joindre chez lui juste avant le temps des Fêtes. Vers la fin de l’interview, le journalist­e m’a demandé si j’étais bouddhiste et, surpris, j’ai dit non. C’est là que l’idée d’un voyage à travers toutes les spirituali­tés m’est apparue. Nos vies sont faites autant de visible que d’invisible, et j’ai eu envie de

parler de ça avec un regard humaniste très respectueu­x. J’y ai également mis la musique [avec Madame Pylinska et le

secret de Chopin], parce qu’elle a aussi une influence spirituell­e sur nous. »

Après avoir abordé à sa façon le bouddhisme, le soufisme, le christiani­sme, le judaïsme, le bouddhisme zen, le confuciani­sme et la symphonie d’émotions liées à la musique, Eric-Emmanuel Schmitt nous offre un huitième volet, qui se penche cette fois sur l’animisme, une croyance surtout présente en Afrique grâce à laquelle animaux, objets et phénomènes naturels peuvent être dotés d’une âme.

MARABOUTAG­ES

« J’ai régulièrem­ent été amené à aller en Afrique, mais dès le départ, je m’y suis pris de travers pour essayer de comprendre l’animisme, confie Eric-Emmanuel Schmitt. J’ai longtemps cherché à saisir intellectu­ellement cette croyance et un jour, j’ai fini par réaliser qu’il fallait la ressentir. Ce n’est pas avec la raison qu’on peut embrasser l’animisme, mais avec l’imaginatio­n. J’ai donc mis de côté les essais pour lire les poèmes, les contes et les fables des écrivains africains. »

Ce qui lui a ensuite permis d’écrire d’un trait Félix et la source invisible.

Le Félix du titre est un gamin de Belleville dont la mère célibatair­e souffre depuis quelque temps d’un mal très étrange : alors qu’elle a toujours su égayer les clients réguliers de son petit café de la rue Ramponneau avec ses réparties vives et son caractère pétillant, Fatou n’est plus que l’ombre d’elle-même. Car si elle trouve encore chaque matin la force de se lever pour servir expressos ou Picon-bière, elle est morte. Un diagnostic posé par l’oncle que Félix a réussi à faire venir du Sénégal, le pays d’origine de sa mère. Et dans l’espoir d’arracher sans tarder Fatou à la tombe, cet oncle fera rapidement appel à l’un des marabouts les plus populaires de Paris, qui lui chargera 440 euros (665 $) pour quelques boulettes de terre magique dont le résultat – sans toutefois préciser lequel! – est garanti.

« Avant d’arriver à l’animisme, je tenais à parler de la caricature, précise-t-il. Des gens déboussolé­s tombent sur des escrocs, et il était important pour moi d’en faire mention, de montrer ces faux marabouts. »

AU BOUT DU MONDE

Pour enfin pouvoir guérir sa mère dysfonctio­nnelle, Félix devra ainsi entreprend­re un long voyage jusqu’en Afrique, là où les âmes d’humains, les âmes d’animaux et les âmes d’arbres se croisent et se complètent. « C’est en réveillant sa sensibilit­é et par la réappropri­ation de sa culture que Fatou va se retrouver, ajoute Eric-Emmanuel Schmitt. L’Europe, c’est le triomphe de la raison et l’Afrique, c’est le triomphe de l’imaginatio­n! Mais faire ressentir ce continent, avec sa sécheresse, sa dureté ou ses replis incroyable­s au bord des eaux, n’a pas toujours été facile. Il y avait un vrai travail de peintre à faire et j’étais toujours en quête de la sensation juste. »

« Ceci étant, je ne sais pas si Félix et la source invisible va être le dernier livre du Cycle, car il y a encore quelque chose dont je pourrais parler, conclut-il. Mes livres, je les désire pendant des années et tout se met en place quand je les écris... »

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FÉLIX ET LA SOURCE INVISIBLE Eric-Emmanuel Schmitt, aux Éditions Albin Michel, 234 pages
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