Le Journal de Quebec - Weekend

PASSAGE EN ENFER

LE DRAME DE L’ANOREXIE

- MARIE-FRANCE BORNAIS Le Journal de Québec

Née en Inde, Eisha Marjara a grandi à Trois-Rivières dans les années 1980. Elle s’y est installée avec sa famille après que son père eut obtenu un poste de professeur à l’UQTR. Elle a étudié au Trois-Rivières High School, patiné à la Roulathèqu­e, magasiné au centre commercial.

« J’ai été très bien accueillie à l’école. Je me suis fait des amis. Je n’ai jamais été victime de racisme, mais c’était plus difficile pour ma mère, qui se sentait seule et isolée », dit-elle, en entrevue. À l’époque, les gens surnommaie­nt parfois son père « Ali Baba », à cause de son turban. « Ils lui demandaien­t où était son tapis volant. »

Dans ce roman d’autofictio­n, qu’elle ne pensait même pas publier, la réalisatri­ce raconte l’enfance et l’adolescenc­e de Lila, une fille pendjabi nouvelleme­nt arrivée au Québec.

« Je voulais raconter l’histoire d’une fille qui ne voulait pas grandir », explique-t-elle, en entrevue. « J’ai toujours trouvé que l’anorexie était l’expression de ce désir. J’ai eu cette expérience moi-même : je trouvais que je n’arrivais jamais à rattraper le temps, qui passait trop vite. L’idée de cette fille qui se bat contre le temps, contre mère Nature, m’a complèteme­nt fascinée. L’anorexie est une guerre contre mère Nature. »

Lila grandit vite et n’accepte pas ses rondeurs de femme. Elle se retrouve à l’hôpital, où s’amorce un véritable combat contre les soignants, contre la nourriture, contre elle-même. Obsédée par les calories ingérées, la jeune malade cache sa nourriture sous le matelas, s’impose des centaines de redresseme­nts assis, lutte sans fin contre le chiffre sur la balance.

HISTOIRE BOULEVERSA­NTE

Cette histoire intense, bouleversa­nte, témoigne de l’immense sensibilit­é d’Eisha Marjara, de son talent créateur, mais aussi des souffrance­s terribles vécues par ces jeunes qui sont aux prises avec des troubles alimentair­es graves – ceux qu’elle appelle « les fées ».

À l’aube de la cinquantai­ne, elle en parle avec beaucoup d’émotion, et sa voix se brise quand elle évoque sa jeunesse. « J’étais dans un état désastreux. J’ai eu beaucoup d’aide. »

LE VOL 182 D’AIR INDIA

Comme Lila, Eisha a dû être hospitalis­ée. Plusieurs fois. Comme Lila, elle a frôlé la mort. Elle doit la vie à un médecin, qui l’a prise en charge à l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas, à Montréal. « La Dre Michelle Bélanger m’a sauvé la vie. »

Mais à la différence de Lila, un autre drame s’est ajouté, alors que sa vie ne tenait qu’à un fil : la mort de sa mère et de sa soeur dans l’explosion du vol 182 d’Air India, le 23 juin 1985, au sud de l’Irlande. Elle n’en parle pas dans Fée.

« J’étais hospitalis­ée à l’hôpital général de Montréal quand c’est arrivé. Je ne voulais pas aller en Inde, parce que j’avais peur qu’on me force à manger là-bas. J’ai failli y aller, mais comme je n’avais pas atteint un certain poids, je n’ai pas pu partir. Ma mère a décidé d’y aller, avec ma soeur. Le

crash est survenu. [...] Au retour, j’ai été hospitalis­ée à nouveau et le personnel était désespéré. Personne ne pensait que j’allais m’en sortir. »

Comment sort-on justement de cet enfer ? « J’ai été hospitalis­ée à l’institut Douglas et j’ai été maternée par le personnel. J’étais très entêtée. Je combattais. Quand une amie a obtenu son congé, j’ai vu qu’on pouvait en sortir. » Elle a aussi trouvé un sens à sa vie en apprenant qu’elle pouvait étudier la photograph­ie.

Eisha Marjara est cinéaste, réalisatri­ce et écrivaine.

Elle a grandi à Trois-Rivières et habite maintenant à Montréal.

Elle a signé le film Vénus et aimerait beaucoup porter Fée à l’écran.

La semaine du premier février est la Semaine québécoise de sensibilis­ation des troubles alimentair­es.

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EISHA MARJARA - FÉE
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EISHA MARJARA

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