Le Journal de Quebec - Weekend
SOMMES-NOUS TROP FRILEUX ?
À l’exception de la série Fugueuse, la télévision québécoise aborde avec pudeur la sexualité des adolescents. En clair, nos fictions semblent prudes par rapport aux séries étrangères plus épicées. Selon des auteurs d’ici, nos séries devraient traiter de front ces questions pour mieux répondre aux besoins des ados et ainsi concurrencer les séries étrangères plus osées.
« Les jeunes apprennent la vie avec ce qu’ils voient », avance Michelle Allen, dont la série Fugueuse a donné un coup de fouet à la télé québécoise.
« C’était clair dès le départ que Fanny [Ludivine Reding] avait une vie sexuelle, poursuit l’auteure. On en avait discuté avec le diffuseur. Dans le premier épisode, elle faisait l’amour avec son copain et on voyait ses seins. Par contre, quand on est arrivé à la scène du viol collectif, nous avons préféré suggérer. »
Malgré tout, l’équipe de Fugueuse s’est fait reprocher d’être racoleuse, en montrant son héroïne en tenue d’Ève dans certaines séquences.
Michelle Allen rencontre également une certaine résistance quand elle écrit la série L’Échappée, dans laquelle elle dépeint la réalité d’un centre jeunesse où plusieurs thèmes, comme le harcèlement, la séduction d’un jeune sur une personne en position d’autorité, la prostitution et les ITS sont abordés.
« Dans une série annuelle multi-intrigues, on a des contraintes, on peut aller moins loin moins vite. Pour une scène de masturbation avec Francis [Zakary Lavigne], il y a eu beaucoup de discussions. Même chose pour voir Joëlle [Laurie Babin] en soutien-gorge. »
MONTRER DU VRAI
« La sexualité, ça intéresse les ados et c’est nécessaire ! affirme l’auteure Sarah-Maude Beauchesne, qui écrit beaucoup pour les jeunes. Les cours d’éducation sexuelle étaient inexistants à mon époque et j’aurais tellement voulu qu’on m’explique des choses. Avec
L’Académie, j’avais ce mandat-là. Chaque ado a sa façon de vivre sa sexualité. Peu importe l’âge, le lieu, le moment, ça peut bien se passer comme ça peut laisser des cicatrices. Quand j’étais adolescente, tout le monde me disait que c’était donc magique. L’Académie est pour moi une douce vengeance. »
La créatrice des Fourchettes (dont la série vient d’être lancée sur Tou.tv) sent qu’elle doit dépeindre les choses de manière réaliste sans toutefois tomber dans quelque chose de pédagogique.
« Au Québec, on est généralement plus gêné et plus frileux quand on parle de sexualité. Il ne faut pas avoir peur d’utiliser les vrais mots, les vraies images. Nous devons être ouverts à la sensibilité des ados, nous adapter à ce qu’ils sont habitués de voir, être au niveau de leurs attentes et de leur intelligence. »
Même son de cloche du côté de Louis-Martin Pepperall, producteur au contenu et créateur des capsules On parle
de sexe à Télé-Québec avec Julien Lacroix et Rosalie Vaillancourt.
« J’ai l’impression qu’on est encore dans les jupes de l’église ! s’exclame celui qui écrit aussi pour les jeunes. Quand il est question de sexe, on dirait qu’on a peur de traumatiser les jeunes. Les adultes ont tendance à sauter rapidement aux scénarios catastrophe comme le dévergondage et l’hypersexualité. »
Selon Louis-Martin Pepperall, ces craintes entraînent une forme de censure. « Si on ne leur offre rien [aux adolescents], c’est comme si on acceptait qu’ils consomment de la porno. »