Le Journal de Quebec - Weekend
UN BON NOUVEAU TRACY CHEVALIER
Après nous avoir entre autres offert La jeune fille à la perle, La dame à la licorne, L’innocence et À l’orée du verger, l’écrivaine américaine Tracy Chevalier nous revient avec une fascinante transposition de l’Othello de Shakespeare.
C’est en voulant souligner le 400e anniversaire de la mort de Shakespeare que le Hogarth Shakespeare project est né. Hogarth Press, la célèbre maison d’édition britannique fondée par Virginia Woolf, a en effet pris l’initiative de demander à plusieurs grands écrivains de réécrire en prose les pièces du génial dramaturge pour qu’elles puissent être lues et appréciées de tous.
Depuis 2015, Anne Tyler a ainsi repris La mégère apprivoisée dans Vinegar Girl, Jo Nesbø nous a récemment offert un remarquable polar intitulé
Macbeth et Margaret Atwood a revisité La tempête à sa façon dans Graine de sorcière (un livre qui devrait sortir en avril aux Éditions Robert Laffont).
L’écrivaine américaine Tracy Chevalier, qui a elle aussi été approchée par la Hogarth Press, a quant à elle opté pour Othello.
« La seule restriction était de choisir une pièce qui n’avait pas encore été prise, explique-t-elle au cours de l’entretien téléphonique qu’elle nous a accordé fin février. J’ai donc jeté mon dévolu sur
Othello parce qu’en tant qu’Américaine vivant à Londres, je savais ce que c’était d’être une outsider, et parler de la manière dont la société traite les gens qui sont différents ou qui viennent d’ailleurs m’intéressait. »
NOIR SUR BLANC
Dans les premiers temps, réécrire l’histoire d’un autre n’a cependant pas été facile du tout pour l’auteure de La jeune fille à la perle.
« L’intrigue existant déjà, il fallait que je trouve le moyen d’engager mon coeur, préciset-elle. Je suis habituée à écrire des romans historiques et normalement, je passe six mois à faire des recherches, ce qui me donne le temps de réfléchir aux personnages, de les étoffer, de me les approprier. Là, j’ai été à la bibliothèque, lu des analyses critiques sur Othello et quelques jours plus tard, l’étape recherche était terminée. Ça m’a désorientée et pour que cette expérience ne se résume pas à un exercice strictement intellectuel dans lequel je n’avais qu’à suivre ce qui avait été fait, j’ai fini par comprendre une chose: ce livre devait davantage être un roman de Tracy Chevalier qu’une tragédie de Shakespeare. »
Tracy Chevalier a alors eu l’idée de transposer l’histoire d’Othello dans une école primaire des environs de Washington afin d’y mettre en scène des gamins de 11 ans dont le quotidien allait bientôt être complètement bousculé par l’arrivée d’un petit nouveau, petit nouveau qui allait à la fois être le premier et le seul élève noir de tout l’établissement. « Ça aurait aussi pu être une personne âgée dans un groupe de jeunes ou un musulman dans une communauté chrétienne, ajoute-t-elle. Mais le racisme est encore si présent que j’ai préféré m’en tenir au classique “blanc et noir”. Camper l’intrigue en 1974, soit quand j’avais moi-même 11 ans, m’a également beaucoup aidée à m’investir dans mon travail parce que j’ai pu me servir de mes propres souvenirs (la musique que j’écoutais, les jeux auxquels je jouais, ce que je mangeais à la cafétéria, etc.). Du reste, contrairement à aujourd’hui, les professeurs de l’époque pouvaient passer des remarques vraiment racistes… »
LE NOUVEAU
Par un beau matin de mai 1974, dans la cour
de récré d’une école 100 % blanche, les enfants seront donc très surpris de voir débarquer Osei Kokote, un gamin originaire du Ghana dont le père est diplomate.
De ce fait, Osei a été obligé de changer quatre fois d’école au cours des six dernières années, ce qui permet à sa propre mère d’affirmer qu’il ne sait pas s’y prendre comme nouveau. Mais peutêtre que les choses seront différentes ce coup-ci, Dee Benedetti, la chouchoute du professeur, ayant été chargée de s’occuper de ce petit nouveau jusqu’à la fin de la journée afin de faciliter son intégration.
L’histoire ayant été découpée en cinq parties (avant le début des classes, pendant la récré du matin, durant le déjeuner, pendant la récré de l’après-midi et après la fin des classes), on sera ainsi assis aux premières loges pour assister aux amours naissantes de Dee et d’Osei… et à leurs terribles conséquences. « Dans la version originale d’Othello, il y a sur scène plusieurs cadavres, et je n’étais pas sûre de vouloir que ça se termine de la même façon avec des enfants de 11 ans, conclut Tracy Chevalier. Mais heureusement, il peut y avoir différentes sortes de morts… » Et tel que vous ne tarderez pas à le découvrir, toutes ne sont pas nécessairement plus souhaitables.