Le Journal de Quebec - Weekend

QUAND LE CINÉMA LIBÈRE LA PAROLE

- MAXIME DEMERS Le Journal de Montréal maxime.demers @quebecorme­dia.com

Avec son nouveau film, Grâce à Dieu, le cinéaste français François Ozon dénonce le silence de l’Église catholique sur la question de la pédophilie en relatant les démarches d’un groupe d’anciennes victimes d’un prêtre pédophilei­le qui a sévi pendant de nombreuses années dans la région de Lyon tout en étant protégé par sa hiérarchie qui était pourtant bien au courant du problème.

De passage à Montréal la semaine dernière pour faire la promotion de Grâce

à Dieu, François Ozon n’a pas hésité à décrire la sortie de ce film comme « un parcours du combattant ».

Très controvers­é parce qu’il évoque une histoire qui a déjà fait scandale en France (soit l’affaire Bernard Preynat, le prêtre en question qui a fait l’objet de nombreuses plaintes d’agression pédophile), le film a même vu sa sortie compromise pour des raisons judiciaire­s.

« Ce qui s’est passé, c’est que l’avocat de Preynat a accusé le film d’atteinte à la présomptio­n d’innocence de son client », explique le réalisateu­r de Potiche et

8 Femmes en entrevue au Journal. « Preynat a reconnu les faits à plusieurs reprises, mais son avocat soutenait que comme le procès n’avait pas encore eu lieu, le film risquait de l’influencer. Sauf que la justice a pensé que la liberté d’expression était plus forte que la présomptio­n d’innocence d’un homme qui avait toujours avoué ses gestes. Et surtout que les faits que je relate dans le film avaient dé éjà été racontés à plusieur rs reprises dans les médias. ias

« En fait, c’est surtout le film qu’ils ont attaqué. Je me suis rendu compte que le cinéma a ce pouvoir-là. Les journalist­es m’ont souvent demandé si le cinéma pouvait changer le monde. J’ai toujours répondu non. Mais là, je me suis aperçu que mon film pouvait avoir une incidence sur la réalité. Depuis que le film est sorti en France (le 20 février dernier), on a beaucoup de retours positifs et on se rend compte que la parole continue de se libérer. L’associatio­n des victimes de Preynat a reçu beaucoup de dons et de témoignage­s et cinq nouvelles victimes se sont manifestée­s. »

FRAGILITÉ MASCULINE

Grâce à Dieu s’inspire donc de l’histoire vraie de trois anciennes victimes du père Preynat, des hommes dans la quarantain­e qui ont décidé de s’allier il y a quelques années pour dénoncer les comporteme­nts pédophiles de ce prêtre et pour forcer l’Église à admettre ses torts danss ce dossier. En mmenant leur enquête, ces trois hommmes, dont deux sont devenus dess pères de famille, apprendrro­nt en effet que la hiérarchie caatholiqu­e, notamment le caardinal Barbarin, était au coourant depuis longtemps dees agissement­s de Preynat et qqu’elle avait tout fait pour le prottéger depuis une trentaine d’annéées. C’est enn lisant leurs témoignage­s sur le site dde leur associatio­n, La parole libérée, que François Ozon a eu l’idée de faire un film sur leur histoire.

« Ces trois hommes me plaisaient. Je trouvais leur parcours admirable et je trouvais qu’ils avaient été héroïques, souligne Ozon qui a d’abord voulu faire un film sur la fragilité masculine.

« Quand on libère sa parole, on subit en quelque sorte une double peine parce qu’on a déjà été victime enfant et quand on parle, ça provoque encore beaucoup de répercussi­ons autour de soi. Tout le monde est affecté par la dénonciati­on d’un abus sexuel : les parents, les enfants, les épouses. J’ai trouvé leur combat incroyable et j’ai eu envie de le raconter.

« Je voulais aussi raconter que quand on a été abusé enfant, on croit souvent qu’on est le seul. Et eux, quand ils se rendent compte qu’ils n’étaient pas seuls à avoir vécu cela, ils décident de se réunir pour faire une force pour combattre. »

INTIMITÉ

Si l’idée de faire un documentai­re sur le sujet lui a traversé l’esprit, le cinéaste de 52 ans a rapidement décidé d’opter pour un film de fiction, sa spécialité.

« Comme j’ai fait une enquête journalist­ique au départ et que j’ai rencontré les victimes, j’ai en effet songé d’abord à faire un documentai­re », explique-t-il.

« Mais quand j’en ai parlé aux victimes, j’ai senti chez elles une forme de déception parce que je suis un réalisateu­r de fiction et qu’ils attendaien­t de moi une sorte de Spotlight à la française. Ils avaient vu ce film qui avait été important pour eux et qui les avait aidés dans leur combat. Ils se disaient que ce qui s’était passé à Boston était la même histoire qu’eux. Et que ce film avait permis une prise de conscience chez beaucoup de gens. C’était donc cela qu’ils attendaien­t de moi.

« Par ailleurs, j’ai compris très vite aussi que si je faisais un documentai­re, les femmes et les enfants des victimes ne témoignera­ient pas à la caméra et qu’en faisant une fiction, j’aurais la liberté d’aller dans l’intimité des personnage­s. » Le film Grâce à Dieu prend l’affiche au Québec vendredi (le 5 avril).

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François Ozon
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