Le Journal de Quebec - Weekend

RETOURNER EN ARRIÈRE, ÇA M’A FAIT MAL

Selon ses propres dires, Pierre Bruneau se « dévoile comme jamais » dans Même heure même poste. Dans cette autobiogra­phie réalisée avec l’apport du journalist­e et auteur Serge Rivest, le chef d’antenne remue des souvenirs heureux (son enfance, sa carrière

- MARC-ANDRÉ LEMIEUX Le Journal de Montréal marc-andre.lemieux @quebecorme­dia.com

Vous avez commencé à plancher sur Même heure même poste en septembre dernier. Comment avez-vous trouvé cet exercice?

Retourner en arrière, ça m’a fait mal. Ça m’a blessé. Revisiter la maladie de Charles, c’est toujours aussi difficile.

Votre vingtaine n’a pas été de tout repos : mariage à 21 ans, CKAC la même année, premier enfant à 23 ans, Télé-Métropole à 24 ans et maladie de votre fils à 27 ans. Avec le recul, êtesvous étonné d’avoir réussi à garder la tête froide durant cette période?

J’étais de l’époque d’Alain Montpetit [animateur à Télé-Métropole et CKMF, décédé d’une surdose de drogue]. J’avais vécu tous les bonheurs. J’aurais juste pu plonger et devenir fucké. J’aurais pu déraper, mais je n’y ai jamais pensé parce qu’il y avait toujours quelque chose qui m’en empêchait. Après le décès de Charles, c’était impensable ; il y avait deux autres enfants qui avaient besoin de moi. Et je m’étais engagé à poursuivre son combat.

Vous racontez qu’après votre arrivée à Montréal, vous avez longtemps « résisté à la tentation » de vous inscrire à l’École nationale de théâtre, devant laquelle vous passiez chaque jour pour vous rendre à CKAC. Qu’est-ce qui vous retenait ?

J’aimais – et j’aime encore profondéme­nt – Ginette. Je n’étais pas pour l’envoyer dans un cul-de-sac. On commençait notre vie ensemble. On allait se marier quelques mois après. Ça aurait bloqué tous nos plans. Je m’étais dit peut-être qu’un jour, j’allais tenter ma chance, mais ma carrière a démarré tellement vite... Je n’ai jamais pu.

Pourquoi le métier d’acteur vous attirait-il?

Chaque fois que je passais devant l’école, ça me rappelait toutes mes années au collège, où l’on jouait des pièces de théâtre. J’aimais être sur scène. J’aimais voir la réaction du public. J’aimais entrer dans des personnage­s autres que mon personnage à moi.

En 1976, vous avez délaissé CKAC pour Télé-Métropole, qui était pourtant loin d’être un choix évident à l’époque. Vous avouez même qu’il était « difficile de trouver des émissions d’affaires publiques » à son antenne. Pourquoi avez-vous fait le grand saut, dans ce cas?

Je me suis dit : « C’est une place où j’ai la chance d’apprendre. Et s’il y a un endroit où il peut se passer quelque chose, c’est bien à Télé-Métropole. » À Radio-Canada, on connaît le chemin. Ailleurs, c’est incertain et j’avais le goût de vivre ça. J’ai peut-être choisi Télé-Métropole par ambition aussi... À 23 ans, j’avais la chance d’être chef d’antenne et d’être tout de suite le numéro 1 du réseau.

Êtes-vous workaholic?

Je l’ai été longtemps, mais moins maintenant.

Vous avez couvert plusieurs événements marquants des 40 dernières années au Québec : Polytechni­que, les référendum­s, la crise d’Oka, Lac-Mégantic, la tempête de verglas… Lequel vous a le plus marqué ?

Polytechni­que. Parce que c’était la première fois qu’un événement comme ça arrivait chez nous. Des tueries de masse, on en avait vu aux États-Unis, mais pas chez nous. Et c’était l’année après le décès de Charles. Jean-Sébastien venait d’avoir son accident… Je n’arrêtais pas de penser aux parents qui perdaient leurs enfants. Ça m’a brassé pas mal.

Couvrir des tragédies, est-ce que ça use à la longue?

Non. Notre métier, c’est de rapporter les événements. On n’est pas en téflon, mais on doit se protéger parce que sinon, ça n’a aucun sens. D’où l’importance d’avoir une vie de famille solide. Pour être capable d’aller se ressourcer ailleurs, comme en voyage, par exemple.

Parlant de voyages, ils semblent occuper une place importante dans votre vie…

Extrêmemen­t importante. Ça permet de recharger les batteries. Quand on veut voyager, on part. Et plus tu voyages, plus tu réalises que c’est simple. Mais il faut commencer tôt. Pas à 65 ans, quand tu prends ta retraite. Parce que sinon, tout t’inquiète : manquer ton vol, manquer ta connexion, arriver dans une grande ville, etc.

Vous racontez qu’enfant, la main d’un prêtre qui dirigeait un collège classique qui était dans notre mire s’est posée sur « une zone plus intime » de votre anatomie. Pourquoi avez-vous décidé de raconter cet incident et quelles séquelles en gardez-vous?

Ça ne m’a pas affecté. Ça s’est produit une fois. Mais l’incident valait la peine d’être révélé pour montrer l’attitude de ma mère. Elle aurait pu m’envoyer dans ses pattes parce que c’était le directeur de l’externat classique, mais elle a dit : « Non, non. Tu n’iras pas là. » Elle m’a protégé à une époque, les années 1950, où l’on devait respecter la religion et ceux qui représenta­ient la religion. Elle m’a cru.

Vous avez grandi au sein d’une famille très religieuse. Quelle place occupe la religion dans votre vie aujourd’hui?

Je ne suis pas un Jesus freak. Ma spirituali­té, c’est quelque chose de très important pour moi. C’est aussi très personnel. Ce n’est pas quelque chose que j’expose. Quand mon fils est décédé, je me suis dit : ça ne se peut pas qu’une vie finisse comme ça, qu’on mette quelqu’un dans un caveau ou dans une fosse et que tout s’arrête là. C’est alors que les valeurs que j’avais quand j’étais plus jeune sont ressorties. Depuis ce temps, j’essaie de voir comment on peut garder un lien avec ceux qu’on a aimés et qui sont partis.

Vous rendez hommage à votre femme, Ginette St-Cyr, à plusieurs reprises au fil des pages du livre, notamment après l’accident de Jean-Sébastien, quand elle a tenu le fort…

Dans une vie, on ne peut pas être tout seul. L’homme que je suis devenu, c’est ma vie familiale qui l’a forgé.

Vous employez souvent cette formulatio­n quand vous parlez de Radio-Canada : « Ils disposent de moyens beaucoup plus importants ». Ce déséquilib­re des forces a-t-il déjà été source de frustratio­n?

Non. Si j’avais vraiment vécu une frustratio­n, j’aurais accepté leurs offres et j’aurais quitté TVA. C’est une source de fierté de savoir qu’on est capable de réaliser mieux avec moins. À TVA, on n’a pas tout, mais on est connecté au public. Quand on regarde les cotes d’écoute et qu’on regarde la force qu’on est devenu en informatio­n, on peut être fier.

Pourquoi avez-vous décidé de révéler que vous avez été opéré deux fois pour un cancer de la vessie au cours des dernières années?

Parce que si les gens sont capables d’en parler et vite d’être suivis, les chances sont meilleures. C’est ironique que je sois atteint d’un cancer alors que je travaille pour une cause qui lutte contre le cancer chez les enfants depuis 40 ans. Pourquoi est-ce que je véhiculera­is un message autre que celui qui m’anime depuis 1979 ? C’est le même message d’espoir que j’envoie à tout le monde.

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