Le Journal de Quebec - Weekend

RETOUR DE L’ENFANT TERRIBLE

Figure de proue de la contre-culture du 9e art québécois des années 1980 dont l’oeuvre suscite l’admiration de ses pairs aux quatre coins du globe, l’iconoclast­e Henriette Valium revient au médium avec deux nouveaux albums.

- JEAN-DOMINIC LEDUC

Malgré l’approche de la soixantain­e, Patrick Henley, qui n’avait rien publié de nouveau depuis Princesse brune en 2006 n’a rien perdu de sa superbe. Dans une forme resplendis­sante, l’artiste novateur, fasciné tant par Hergé que par Willem, Crumb et Jacovitti, nous offre coup sur coup rien de moins que deux chefs-d’oeuvre.

NITNIT ET LE LAMBDA ROSE

Valium lance en 1984 le fanzine Iceberg en réponse au mensuel québécois BD Titanic – revue soeur de Croc – qui le remercia de ses services après la livraison de planches jugées inadéquate­s. L’illustrati­on de couverture du premier numéro du brûlot punk pastiche celle de Coke en Stock, avec un Haddock les pantalons aux genoux. Le ton irrévérenc­ieux est donné. « C’est facile d’aborder Tintin par la satire parce qu’il est tellement aseptisé. Asexué, sans âge, il est pourtant rarement blessé dans ses mésaventur­es, et sait comment fonctionne­nt les armes et bolides de guerre, explique avec verve Valium. Hergé fut aussi important que les membres de ma propre famille durant ma jeunesse. Il m’appartient! »

Il façonne son propre Tintin, qu’il déconstrui­t à sa guise. Tel Lewis Carrol et son Alice, il donne l’impression d’avoir traversé de l’autre côté de la case de la délirante séquence du cauchemar de l’album Le crabe aux pinces d’or, où Haddock tente de dévisser la tête du jeune reporter à l’aide d’un tire-bouchon, sans jamais en être revenu. Les passages anxiogènes de L’Étoile mystérieus­e ont également marqué l’artiste, à n’en point douter. Aussi déjantées que puissent être ses réappropri­ations – Nitnit et le mystère du Lambda Rose plonge Nitnit dans un complot piloté par un groupuscul­e musulman homosexuel impliqué dans l’exploitati­on du gaz de schiste –, Valium éprouve un immense respect à l’endroit du grand maître, épris comme lui d’art. S’il charpente son Nitnit à la ligne claire un tantinet trouble à ses débuts, son Lambda Rose témoigne de la nature excessive compulsive de l’artiste. La superposit­ion d’extraits de cases tirées des 24 albums officiels crée une distorsion déconcerta­nte, une oeuvre stratifiée empreinte de fureur, dont il avoue être fier.

LE PALAIS DES CHAMPIONS

OEuvre la plus personnell­e à ce jour, l’auteur s’y livre dans un dédale de codes qui lui échappent en partie. « J’y ai expurgé toutes mes angoisses, mon alcoolisme », avoue-t-il, sobre depuis une décennie. Sous des allures d’enluminure­s du Moyen-Âge, ses planches gargantues­ques, qu’il mit 5 ans à dessiner et 3 ans à nettoyer sur Photoshop, rappellent tant Gotlib qu’Hieronymus Bosch… Mais aussi un certain Hergé, par son format (62 pages, cartonné, couleur). Il a d’ailleurs glissé quelques vignettes de Nitnit, incapable de s’en empêcher.

Le corpus obscène et violent d’Henriette Valium trouve écho dans ce monde au point de rupture dans lequel nous vivons. Le dramaturge Beckett disait que lorsque nous sommes dans la merde jusqu’au cou, il ne nous reste plus qu’à chanter. Valium, quant à lui, choisi plutôt ses crayons.

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NITNIT ET LE MYSTÈRE DU LAMBDA ROSE À compte d’auteur Le palais des champions Éd. Moelle graphique
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