Le Journal de Quebec - Weekend
UNE QUESTION DE NEZ…
LES ENFANTS MOINS AFFECTÉS PAR LE CORONAVIRUS
Le récepteur ACE2, qui permet l’entrée du virus au niveau de l’épithélium nasal, est beaucoup moins présent chez les enfants que chez les adultes, ce qui pourrait expliquer la faible incidence d’infection touchant les plus jeunes.
Docteur en biochimie Collaboration spéciale
Une des principales caractéristiques de la pandémie de COVID-19 actuelle est sans doute à quel point cette maladie frappe de façon disproportionnée les populations les plus vulnérables, en particulier les personnes âgées et celles touchées par des pathologies préexistantes (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires et pulmonaires, cancer).
ENFANTS PEU TOUCHÉS
Les enfants, par contre, sont très peu touchés par la maladie.
Aux États-Unis, par exemple, sur les 149082 cas de COVID-19 répertoriés en date du 2 avril 2020, seulement 2572 touchaient des personnes de moins de 18 ans (1). Les enfants comptent donc pour moins de 2 % de tous les cas de COVID-19 dans la population américaine, ce qui correspond à la situation actuelle au Québec et à plusieurs autres endroits dans le monde.
Chez les enfants, les symptômes de l’infection par le coronavirus sont moins fréquents et moins sévères que chez les adultes. Puisque les tests pour détecter la COVID-19 sont la plupart du temps réservés aux personnes qui présentent des symptômes, il est donc possible que la plus faible incidence de COVID-19 mesurée chez les jeunes reflète simplement un plus faible nombre de tests réalisés auprès de cette population.
Par contre, des études où les tests de détection ont été réalisés de façon aléatoire (sans être limités aux personnes symptomatiques) suggèrent que la plus faible incidence de COVID-19 chez les jeunes est plutôt liée à une plus grande résistance de cette population au virus. En Islande, par exemple, alors qu’environ 1 % de la population de 364000 habitants a été déclarée positive au coronavirus suite à ces tests aléatoires, aucun cas n’a été détecté chez les enfants de moins de 10 ans (2).
PORTE D’ENTRÉE
Dès le début de la pandémie, les chercheurs ont montré que le coronavirus SARS-CoV-2 interagit avec la protéine de surface ACE2 des cellules humaines, celle-ci agissant comme un récepteur qui permet au virus de pénétrer à l’intérieur des cellules. Ce récepteur ACE2 est préférentiellement localisé dans trois types cellulaires bien distincts, soit les pneumocytes de type II (cellules au niveau des alvéoles pulmonaires), les entérocytes de l’intestin et les cellules sécrétrices de la muqueuse (épithélium) de la cavité nasale (3). Dans ce dernier cas, des résultats en prépublication suggèrent que l’infection au niveau des cellules de la paroi nasale génère une inflammation qui perturbe les nerfs présents à proximité, ce qui expliquerait la perte d’odorat (anosmie) rapportée par une proportion importante de personnes infectées par le coronavirus (4).
Une étude récemment publiée dans le journal de l’association médicale américaine (JAMA) suggère que la plus faible susceptibilité des enfants à l’infection par le coronavirus pourrait être due à une réduction du nombre de récepteurs ACE2 au niveau de leur épithélium nasal (5). Les chercheurs ont évalué l’expression du gène codant pour ce récepteur dans des échantillons d’épithélium nasaux prélevés auprès de patients âgés de 4 à 60 ans. Ils ont observé que les enfants les plus jeunes (moins de 10 ans) exprimaient les plus faibles quantités de ACE2 et que le nombre de récepteurs augmentait par la suite graduellement avec l’âge. Puisqu’il est bien documenté que le nez est une importante porte d’entrée du virus, il est donc possible que la plus faible incidence de COVID-19 observée chez les enfants soit tout simplement due à une incapacité du coronavirus à se lier efficacement à la surface des cellules de leur système respiratoire.
(1) CDC COVID-19 Response Team. Coronavirus disease 2019 in children—United States, February 12–April 2, 2020. MMWR Morb Mortal Wkly Rep. 2020; 69: 422-426.
(2) Gudbjartsson DF et coll. Spread of SARS-CoV-2 in the Icelandic population. N. Engl. J. Med., publié le 14 avril 2020.
(3) Ziegler CGK et coll. SARS-CoV-2 receptor ACE2 is an interferon-stimulated gene in human airway epithelial cells and is detected in specific cell subsets across tissues. Cell, publié le 27 avril 2020
(4) Brann DH et coll. Non-neuronal expression of SARS-CoV-2 entry genes in the olfactory system suggests mechanisms underlying COVID-19-associated anosmia. bioRxiv, publié le 9 avril 2020.
(5) Bunyavanich S et coll. Nasal gene expression of angiotensin-converting enzyme 2 in children and adults. JAMA, publié le 20 mai 2020.