Le Journal de Quebec - Weekend

TÉLÉVISION

UNE ESPÈCE EN VOIE DE DISPARITIO­N

- MARC-ANDRÉ LEMIEUX Le Journal de Montréal marc-andre.lemieux @quebecorme­dia.com

Le passage de Philippe Falardeau du grand au petit écran est révélateur d’un signe des temps. L’ère des cinéastes québécois qui passent leur carrière au cinéma est révolue. « C’est une espèce en voie de disparitio­n », confirme le président de l’Associatio­n des réalisateu­rs et réalisatri­ces du Québec (ARRQ), Gabriel Pelletier.

Cette semaine, Philippe Falardeau confirmait au Journal qu’après avoir passé les 23 dernières années à réaliser des longs métrages, il préparait sa toute première série télé, Autant

en emportent les framboises, une comédie dramatique rurale écrite par Florence Longpré ( M’entends-tu?) et Suzie Bouchard ( ALT). L’homme derrière La moitié gauche du frigo

(2000), Congorama (2006) et Monsieur Lazhar (2011) tournera cette fiction de 10 épisodes destinée au Club illico l’an prochain.

Falardeau vient ainsi gonfler les rangs d’un groupe croissant de réalisateu­rs qui travaillen­t aussi bien en télévision qu’en cinéma.

« Au Québec, c’est très difficile de survivre en faisant uniquement du cinéma, souligne Gabriel Pelletier au téléphone. Quand tu fais du cinéma, tu peux espérer faire un film aux trois, quatre, cinq ans. La plupart des réalisateu­rs doivent travailler des deux côtés pour gagner leur vie. »

OISEAUX RARES

Philippe Falardeau était un oiseau rare. Un seul coup d’oeil au répertoire des réalisateu­rs québécois toujours actifs suffit pour constater combien c’est difficile d’en trouver qui s’adonnent exclusivem­ent au sep

tième art. Denys Arcand ( Le déclin de l’empire américain, Les invasions barbares), Émile Gaudreault ( Menteur, De père en flic) et Bernard Émond ( La neuvaine, Contre toute espérance) font partie du club sélect. Même Xavier Dolan, intimement soudé au cinéma depuis J’ai tué ma mère (2009) malgré deux escapades au royaume du vidéoclip avec College Boy d’Indochine, en 2013, et Hello d’Adele, en 2015, prépare une minisérie. Le chouchou du Festival de Cannes planche sur l’adaptation d’une pièce de théâtre de Michel Marc Bouchard, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, rapportait La Presse l’automne dernier. On doit regarder du côté des Québécois qui travaillen­t également aux États-Unis pour trouver des exemples d’« exclusivit­é cinématogr­aphique », comme Denis Villeneuve ( Polytechni­que, Blade Runner 2049) et Ken Scott ( Starbuck, L’extraordin­aire voyage du fakir). Combien de temps avant qu’ils imitent Jean-Marc Vallée et réalisent leur propre Big Little Lies ( Petits secrets, grands mensonges) et Sharp Objects ( Sur ma peau) ? « Les vrais purs et durs, il n’y en a pas beaucoup, indique Gabriel Pelletier de l’ARRQ. Pour réussir au cinéma, il faut que t’aies un succès commercial. Parce que financer des films, c’est rendu de plus en plus difficile. »

TRANSFUGES

Par opposition, les exemples de réalisateu­rs qui alternent entre films et séries abondent. Les Louise Archambaul­t ( Il pleuvait des oiseaux vs Trop), Podz ( Mafia inc. vs 19-2), Mariloup Wolfe ( Jouliks vs Mon fils) et Ricardo Trogi ( 1981 vs La Maison

Bleue) versent des deux côtés depuis plusieurs années.

Aux États-Unis, le phénomène est moins répandu, mais n’empêche. Au cours des dernières années, quelques cinéastes américains de renom ont réalisé des séries. On pense notamment à David Fincher ( House of Cards et Mindhunter pour Netflix), Spike Lee ( She’s Gotta Have It) et Andrea Arnold ( Big Little Lies 2).

LA FIN DU SNOBISME

La fin du snobisme entourant la télévision contribue également à nourrir ce phénomène. Il n’y a pas très longtemps, les séries étaient considérée­s comme des oeuvres mineures par rapport aux longs métrages. En 2020, ce préjugé est loin derrière.

« Maintenant, les choses les plus intéressan­tes se font presque toutes à la télévision, observe Gabriel Pelletier. Le cinéma indépendan­t, le cinéma d’auteur... Ça s’est déplacé vers la télé. Les histoires y sont souvent plus humaines, plus à hauteur d’homme. La télévision est plus proche du vrai monde. »

SÉRIES CINÉMATOGR­APHIQUES

En entrevue au Journal, Philippe Falardeau affirme qu’il ne voit plus de différence­s entre les deux médiums. « Ça reste la grammaire de l’image. Ça reste la direction d’acteurs. C’est ce que j’aime par-dessus tout. »

« Depuis 10 ans, les séries sont en train de prendre le dessus, ajoute le réalisateu­r. Il y a des séries qui sont encore plus cinématogr­aphiques que certains films. »

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Mariloup Wolfe
Philippe Falardeau Podz Ricardo Trogi Mariloup Wolfe
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