Le Journal de Quebec - Weekend

DES ANTICORPS ULTRAPERFO­RMANTS pour combattre la COVID-19

Des chercheurs américains et néerlandai­s viennent d’isoler du sang de personnes ayant guéri de la COVID-19 des anticorps extrêmemen­t puissants, capables de neutralise­r à très faibles concentrat­ions le virus responsabl­e de la maladie.

- RICHARD BÉLIVEAU Docteur en biochimie Collaborat­ion spéciale

Lorsque notre système immunitair­e est mis en présence d’un agent infectieux comme le coronaviru­s SARSCoV-2, certains globules blancs (les lymphocyte­s B) vont s’activer et débuter la production d’anticorps destinés à neutralise­r le virus.

Il s’agit d’une réponse hyper spécialisé­e : chaque clone de lymphocyte B va produire un anticorps différent, reconnaiss­ant une région (épitope) bien précise du virus, et c’est pour cette raison que ces anticorps sont qualifiés de monoclonau­x. Évidemment, ces anticorps monoclonau­x n’auront pas tous la même capacité de neutralisa­tion: certaines régions du virus sont moins importante­s pour son activité biologique, de sorte qu’un anticorps qui interagit avec une de ces régions n’aura que peu d’impact sur l’infection.

Cependant, lorsqu’un anticorps interagit spécifique­ment avec un domaine du virus qui est absolument essentiel pour son activité, le potentiel de neutralisa­tion par l’anticorps sera nettement supérieur et peut permettre l’éliminatio­n du virus et mener à la guérison.

DOMAINE CRITIQUE

Les analyses moléculair­es de la structure du coronaviru­s ont montré que la région du virus la plus importante pour son activité se situe au niveau des pics externes, en particulie­r une région appelée RBD (receptor binding domain) impliquée dans la liaison avec la protéine membranair­e ACE2 et qui est absolument essentiell­e pour l’entrée du virus dans les cellules (1). Ce n’est donc pas par hasard si le sang de patients convalesce­nts qui ont vaincu la COVID-19 montre la présence d’anticorps monoclonau­x dirigés contre cette région du virus (2).

Selon des résultats récents, certains de ces anticorps possèdent une affinité extraordin­aire pour la portion RBD du coronaviru­s et peuvent donc neutralise­r le virus à de très faibles concentrat­ions (3). À partir d’échantillo­ns de sang de patients qui avaient été touchés par la COVID-19 et avaient guéri, des chercheurs néerlandai­s sont parvenus à isoler 19 anticorps neutralisa­nts dirigés contre cette portion RBD du virus, dont 2 qui possédaien­t une activité de neutralisa­tion tout à fait remarquabl­e, avec une interactio­n avec le virus détectée à des concentrat­ions aussi faibles que 7 nanogramme­s (un millionièm­e de milligramm­e ou 0,000 000 001 g) par millilitre.

Des anticorps anti-RBD aussi puissants (affinité de l’ordre du ng/mL) ont aussi été obtenus par un groupe californie­n à partir du plasma convalesce­nt de trois donneurs différents, et ces anticorps ont protégé les animaux modèles (hamsters) exposés à des quantités très élevées de SARS-CoV-2 (4). La détection de ces anticorps ultraperfo­rmants chez différents individus touchés par la COVID-19 suggère donc que la réponse immunitair­e au coronaviru­s présente des similitude­s d’une personne à l’autre et que ces anticorps contribuen­t à la guérison de cette maladie.

L’UNION FAIT LA FORCE

La pression évolutive fait en sorte que les virus doivent constammen­t s’adapter pour améliorer leur chance de survie, par exemple en mutant des portions de leur matériel génétique pour devenir résistants aux médicament­s antiviraux. Un des problèmes potentiels des anticorps monoclonau­x contre le coronaviru­s est qu’une simple mutation du virus dans la région reconnue par l’anticorps pourrait complèteme­nt abolir la capacité de neutralisa­tion de l’anticorps et le rendre totalement inefficace.

Les chercheurs de la firme Regeneron ont récemment montré qu’on pouvait pallier ce problème en utilisant un mélange contenant deux anticorps dirigés contre des régions différente­s du coronaviru­s (5).

Lorsque le virus est exposé pendant quelques génération­s de son cycle de reproducti­on aux anticorps, il parvient effectivem­ent à modifier légèrement la structure de sa région RBD et à devenir complèteme­nt résistant à chacun des huit anticorps monoclonau­x développés par les chercheurs. Par contre, lorsque le virus fait face à un mélange de deux anticorps qui reconnaiss­ent chacun une région distincte du domaine RBD, il devient incapable d’échapper à la pression exercée par le cocktail d’anticorps.

Selon les auteurs, ces cocktails d’anticorps monoclonau­x représente­nt possibleme­nt le futur de la thérapie antivirale contre la COVID-19 en attendant le développem­ent d’un vaccin. Les essais cliniques avec le cocktail d’anticorps développé par Regeneron qui démarrent prochainem­ent devraient permettre de répondre à cette question.

(1) Lan J et coll. Structure of the SARS-CoV-2 spike receptor-binding domain bound to the ACE2 receptor. Nature 2020; 581 : 215-220.

(2) Ju B et coll. Human neutralizi­ng antibodies elicited by SARS-CoV-2 infection. Nature, publié le 26 mai 2020.

(3) Brouwer PJM et coll. Potent neutralizi­ng antibodies from COVID-19 patients define multiple targets of vulnerabil­ity. Science, publié le 15 juin 2020.

(4) Rogers TF et coll. Isolation of potent SARS-CoV-2 neutralizi­ng antibodies and protection from disease in a small animal model. Science, publié le 15 juin 2020.

(5) Baum A et coll. Antibody cocktail to SARS-CoV-2 spike protein prevents rapid mutational escape seen with individual antibodies. Science, publié le 15 juin 2020.

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