Le Journal de Quebec - Weekend
DONNER AUX JEUNES D’AUTRES OPTIONS
Depuis le début de la pandémie, les écrans sont devenus une obligation pour permettre à tout un chacun de fonctionner : télétravail, téléconférences, apprentissage scolaire en ligne. Sommité internationale sur l’éducation et la psychologie des enfants, la chercheuse Catherine L’Écuyer, auteure du best-seller Cultiver l’émerveillement, soutient que les enfants sont fascinés par les écrans, mais qu’ils ont aussi soif de réalité.
Dans son nouveau livre, Pour un
retour à la réalité, Catherine L’Ecuyer, mère de quatre enfants, s’adresse aux parents, aux enseignants, aux éducateurs et à tous ceux et celles qui se posent des questions sur les effets d’une utilisation soutenue des appareils technologiques par les enfants.
En entrevue par courriel – elle habite en Espagne – la spécialiste est d’avis que l’impact de l’utilisation extrême des écrans sur le développement des enfants dépendra de plusieurs facteurs. « L’effet dépendra de l’âge, de l’ampleur de l’utilisation et du type d’écran. »
Elle explique qu’avant la pandémie, les adolescents nord-américains passaient pratiquement la moitié de leur temps d’éveil devant un écran. « De 8 à 18 ans, ils cumulaient plus de 4 ans et 3 mois du temps d’éveil de leur adolescence dans le monde virtuel. »
« Le plus récent rapport de Common Sense a été réalisé en mars 2020, au moment où l’OMS (Organisation mondiale de la santé, NDLR) a déclaré la pandémie mondiale, il faudra donc attendre quelques jours ou semaines pour avoir les résultats plus récents au sujet de l’utilisation des écrans. Je soupçonne que ce sera encore beaucoup plus élevé. »
COMPENSER ?
Pense-t-elle qu’il faut compenser le nombre d’heures d’écran par un nombre d’heures dehors, ou en nature ? « Je ne parlerais pas en termes de compensation », répond-elle.
« Lorsqu’on parle d’une diète équilibrée, on ne dit pas : mange toutes les poutines que tu veux de 9 à 5 et de lundi à dimanche, mais essaie de compenser toutes ces poutines en mangeant le plus de pommes possible. Si l’enfant n’a pas la maturité pour pouvoir utiliser de façon responsable une technologie, c’est préférable d’attendre avant de lui donner. »
RAMENER DANS LE RÉEL
Comment faire pour ramener les enfants dans le réel, dans le concret, dans le « non-connecté » ? Elle propose de leur donner d’autres options que le monde virtuel.
« Les enfants ont soif de réalité, par contre, ils demandent des écrans parce que cela les fascine. La vitesse, les lumières intermittentes et le bruit font en sorte que l’enfant devient passif, captivé, il perd son intérêt naturel pour apprendre et en vient à dépendre de la stimulation externe. »
Quoi faire alors ? « Il faut réadapter nos enfants à la lenteur de la réalité. Voir un coucher de soleil, aller en bicyclette, lire un livre de Tolkien, aller à la pêche… Nos enfants doivent renouer avec la beauté du réel. »
UNE QUESTION DE MATURITÉ
Catherine L’Ecuyer fait des recommandations précises. « Lorsqu’un adolescent, un adulte, a acquis la maturité nécessaire à une utilisation responsable de la technologie, elle peut être un outil merveilleux. Mais combien d’enfants ou d’adolescents possèdent cette maturité?»
Elle rappelle plusieurs concepts comme la patience, la force de volonté, la capacité de prêter attention sans se distraire, la capacité de distinguer ce qui est public de ce qui est privé, de savoir ce qui est important et ce qui ne l’est pas, de garder un secret, d’apprécier la beauté du réel, de gérer une relation personnelle dans le monde réel.
« Moins une personne est préparée à faire tout cela, plus elle aura des effets secondaires néfastes, car le dispositif et ses applications vont consumer son attention, la transformer en être passif et elle sera plus encline à développer des dépendances ou des habitudes de consommation abusive. La meilleure préparation pour le monde virtuel, c’est le monde réel ! »