Le Journal de Quebec - Weekend

LES GENS VONT COMPRENDRE QUE JEAN-MICHEL BLAIS, C’EST PAS JUSTE DU PIANO SOLO »

Jean-Michel Blais venait de conclure une tournée mondiale de 250 dates quand la pandémie a isolé le Québec. Tout à coup seul dans un appartemen­t trop grand pour lui, il a décidé de profiter de ce temps d’arrêt pour composer de la musique pour un orchestre

- CÉDRIC BÉLANGER Le Journal de Québec cedric.belanger @quebecorme­dia.com

CÉDRIC BÉLANGER Le Journal de Québec

Bien avant le confinemen­t imposé par la pandémie, la musique a été une échappatoi­re d’une inestimabl­e importance pour Jean-Michel Blais.

À l’adolescenc­e, jouer du piano a servi de refuge pour ce gamin de Nicolet différent des autres jeunes de son âge.

« Je l’oublie, mais j’ai un syndrome Gilles de la Tourette et j’étais au pire de mes tics », se souvient le pianiste.

« La musique est un endroit où je pouvais passer toutes les émotions que je ne pouvais pas vivre. Je ne mets jamais ça de l’avant, mais quand t’es gai, à Nicolet, dans le temps, ça n’existe pas. Tu ne comprends pas ce qui se passe, tu ne parles de rien à personne. Tu sais que t’es différent pis tu gardes tout ça en dedans. Le piano est devenu une espèce de confident. Quand je m’asseyais au piano, je n’avais plus de tics. Je pouvais me vider de ce que je savais même pas moi-même que je vidais. C’est un peu comme les gens qui vont triper littératur­e et qui ont l’impression de connecter avec d’autres gens qui ont écrit à d’autres époques. Par la musique, j’avais l’impression de remonter dans le temps et de me sentir à Paris à l’époque de Chopin, de découvrir l’Autriche de Mozart. »

GRÂCE À LA MAMAN D’UN AMI

Pour quelqu’un qui allait en faire une carrière, Jean-Michel Blais a découvert son instrument fétiche sur le tard.

« La musique est venue dans ma vie un peu tout croche. À 9 ans, j’ai commencé à gosser sur un orgue qu’on avait dans notre sous-sol. Puis la vie a fait qu’un de mes meilleurs amis, Phil, a déménagé de Trois-Rivières à Nicolet, il était dans ma classe, je me suis retrouvé chez lui à un moment donné. Sa mère, qui était prof de piano à Trois-Rivières, avait trimballé son piano et tout son stock. C’est là que j’ai commencé à jouer. »

Il est ensuite entré au Conservato­ire de Trois-Rivières, a participé à la finale nationale de Cégeps en spectacle, avant d’abandonner l’option d’une carrière en musique pour voyager et devenir professeur. Il a notamment oeuvré dans un orphelinat au Guatémala et secondé le Dr Julien à Montréal.

C’est finalement à l’âge de 30 ans, poussé par ses amis admiratifs de son talent, qu’il a tenté sa chance en musique.

« Ils m’ont dit que je ne pouvais pas garder ça pour moi. Ils ont dit : C’est irresponsa­ble. T’as quelque chose qui fait du bien à plus de monde que juste toi. Alors, enregistre un album, va sur une scène, fais quelque chose de ta peau et ta vie. »

C’est ce qu’il a fait. Aujourd’hui, toute la planète en bénéficie.

Il le revendique haut, fort et fièrement.

« Les gens vont comprendre que Jean-Michel Blais, c’est pas juste du piano solo. Pas juste des petites pièces de trois ou quatre minutes, mélancoliq­ues, minimalist­es et romantique­s. Des albums de même, je peux t’en faire dix, et j’en ferai peut-être dix dans ma vie, mais j’ai envie d’explorer. »

Déjà, en 2017, le pianisteco­mpositeur avait levé le voile sur son désir de ne pas être cloîtré dans le créneau néoclassiq­ue – comme l’a popularisé chez nous Chilly Gonzales, Alexandra Stréliski et lui-même –, quand il avait fait équipe avec le musicien électroniq­ue montréalai­s CFCF le temps d’un mini-album de cinq chansons.

Avec Aubades, il pousse son déconfinem­ent musical une coche plus loin. Hautbois, clarinette, violon, violoncell­e : il a convoqué douze musiciens qui, sous la direction de l’excellent chef d’orchestre Nicolas Ellis, ont donné vie à ses remarquabl­es ambitions musicales.

« Si cet album met un peu de lumière et d’espoir dans l’époque dans laquelle on est, mon travail est fait à 100 milles à l’heure. Parce que pour moi, il a été mon antidépres­seur, cet album-là. »

LA BEAUTÉ DES IMPRÉVUS

Au téléphone, Jean-Michel Blais est d’humeur à jaser. Ses réponses sont généreuses et riches en anecdotes.

Ainsi, les excuses qu’il nous présente à cause du bruit qu’il fait en se préparant un café deviennent le prétexte à une longue et fascinante dissertati­on sur la présence des sons du quotidien dans sa musique.

Comme c’était déjà le cas sur son premier album de 2016, enregistré à l’époque avec les moyens du bord dans son appartemen­t, des éclats de voix et des bruits de studio s’insèrent subreptice­ment dans les compositio­ns de Jean-Michel Blais.

Cacher ces imprévus n’a jamais été une option, même avec des musiciens classiques.

« C’est plus fort que moi, dit-il. Je trouve ça beau. On entend tellement tout le temps des albums d’orchestre froids, parfaits, distants. Peut-on sentir qu’il y a des humains derrière ça ? Des gens qui rient, qui ont des émotions, qui jasent. »

« À la fin de Murmures, juste avant Passepied, t’entends Nicolas Ellis qui compte. T’entends ça en rock ou en pop, one, two, three, four, la toune part, mais pas en classique. Un décompte avant qu’une toune commence, pourquoi pas ? On le fait aussi en classique, pourquoi le cacher ? », questionne-t-il.

DE L’AIDE CRUCIALE

Aubades, antithèse de la sérénade, fait référence à ces petites chansons que fredonnaie­nt les amants avant de se quitter à l’aube.

« J’aimais cette espèce d’hommage au matin, au réveil, à la puissance, au printemps. C’était peut-être pour moi mon réveil, ma renaissanc­e en tant que compositeu­r », explique Blais, qui a travaillé fort pour apprendre à composer pour d’autres instrument­s que le piano.

Pour y parvenir, il a obtenu le soutien providenti­el d’Alex Weston, un ancien collaborat­eur de longue date du grand compositeu­r américain Philip Glass.

«Ona skypé toutes les semaines pendant un bon bout. Il a corrigé et peaufiné mes arrangemen­ts parce que je faisais des erreurs de base », raconte Jean-Michel Blais.

Le musicien québécois doit aussi une fière chandelle à Nicolas Ellis, devenu un ami durant le processus.

« Ça fait un bout que je le suis, Nico. Il me fascine. C’est un pro qui a un côté très humain. Il est allé jouer dans des prisons, où il essaye de rendre le classique accessible à des prisonnier­s. Tu peux aller prendre une bière avec lui et jaser de tout et de rien, dont de musique. Peut-être que je me suis reconnu un peu dans lui. D’un côté, je suis le gars de Nicolet, accessible, je ne me prends pas pour quelqu’un d’autre, mais en même temps, j’ai envie que le produit que je rends soit le plus raffiné et le plus de qualité possible. »

UN ALBUM POUR VOYAGER

Parlons-en du produit. Aubades, c’est Jean-Michel Blais qui s’autorise toutes les ambiances, toutes les aventures. Bien sûr, il y a la mélancolie du piano pop, mais c’est aussi gorgé d’action, d’intrigue, de joie de vivre.

Tous les musiciens ont leur mot à dire. Le piano est un instrument parmi les autres, pas une vedette autour de qui tourne toute la patente.

« Pour moi, l’album est l’occasion de partir en voyage. Par exemple, autant le début de Passepied n’a pas de piano pendant une minute, le début de Doux, c’est juste du piano pendant une minute. J’ai envie de prendre l’auditeur par la main et de lui faire vivre mille trucs à travers plusieurs tableaux plutôt que de jouer tout le temps sur la même corde. J’ai toujours voulu faire ça, mais je pense que c’est plus marqué sur Aubades. Ouessant, Yanni, ce sont de grosses pièces, ça y va aux toasts, c’est hyper complexe, c’est prenant. À côté de ça, t’as des petites pièces toutes douces comme Caroussel. Flâneur, c’est quasiment drôle. »

Chaque morceau est dédié à un compositeu­r, classique ou contempora­in. Dans un souci de rendre à César ce qui lui appartient, Jean-Michel Blais cite autant Ravel ou Chopin que Yann Tiersen ou Sufjan Stevens.

« Moi, je n’invente rien. Ce que je fais, c’est juste du remâchage de tout ce que j’ai entendu à date dans ma vie. Ma façon de concevoir la compositio­n, c’est que j’ai l’impression d’être un canal à travers lequel passe toute l’histoire de la musique que j’ai écoutée dans ma vie. Je me dois de nommer mes influences fortes, au lieu de les cacher et dire que c’est tout moi. C’est une question d’honnêteté. »

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En concert le 3 mars, au Grand Théâtre de Québec, et le 9 juillet, à la salle Wilfrid-Pelletier, dans le cadre du Festival internatio­nal de jazz de Montréal.
L’album Aubades, de Jean-Michel Blais, est sur le marché. En concert le 3 mars, au Grand Théâtre de Québec, et le 9 juillet, à la salle Wilfrid-Pelletier, dans le cadre du Festival internatio­nal de jazz de Montréal.

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